Syndrome aérotoxique
La qualité d’Air Cabine et le syndrome aérotoxique en question(s)
La qualité de l’air de la cabine de nos avions de ligne devient un sujet de préoccupation à la fois de la part des navigants, qui y sont de plus en plus sensibilisés, mais aussi des passagers grâce à une médiatisation grandissante sur le sujet.
Dans cet article, paru dans le Spécial Cometec n°15 de septembre 2018, nous vous proposons sous forme de questions-réponses de faire un point sur l’état actuel des connaissances, des actions qui sont mises en oeuvre et du rôle important que joue le SNPL dans cette recherche de solutions, pour éviter que cette problématique ne se transforme un jour en une préoccupation majeure de santé publique.
- D’où est issu l’air distribué en cabine d’un avion ?
L’air respiré à bord des avions provient d’un système appelé « bleed air » qui collecte de l’air non filtré au niveau du compresseur du réacteur. Cet air est ensuite détendu et refroidi afin de pressuriser et conditionner la cabine.
- Quel est l’origine du système « bleed air » ?
Les premiers avions à réaction pressurisés étaient dotés d’un système de compresseurs mécaniques, mais rapidement, à la fin des années soixante, à la conception de la Caravelle, pour gagner en masse et en efficacité, les ingénieurs ont imaginé un système de prélèvement de l’air au niveau du compresseur du réacteur.
- Pourquoi ce système peut-il entraîner une pollution de l’air en cabine ?
L’étanchéité des joints de paliers de l’arbre qui entraine le compresseur du réacteur, n’est pas parfaite et l’huile qui s’en échappe est pyrolysée lors du fonctionnement réacteur. Une partie de cette huile pyrolysée passe par le système bleed air et le contamine. L’importance des fuites d’huile est variable en fonction de l’état des joints, de l’entretien du réacteur, des changements de régime brutaux et dépendent de la conception même du réacteur.
L’huile moteur réacteur contient entre autres des agents anti-usure les TCP (tri crésyl phosphate) qui, lorsqu’ils sont pyrolysés, se retrouvent sous une forme dite ToCP (tri ortho- crésyl phosphate). Ces ToCP sont des composés organo-phosphorés neurotoxiques qui entraîne une pollution de l’air. De plus, d’autres composés chimiques sous forme de particules solides ou de gaz sont aussi générés par cette réaction chimique et constituent un cocktail de polluants.
4. Quelles sont les autres sources de contamination ?
Lors des procédures de dégivrage des avions, il arrive que des éclaboussures du produit de dégivrage, qui est à base de glycol, pénètrent soit dans l’entrée d’air du réacteur soit dans celle de l’APU et se trouve alors chauffées et dirigées en partie par l’intermédiaire du système bleed air dans la cabine. De même le fluide hydraulique constitue une source possible de contamination.
- Comment reconnaît-on un « fume event » ?
Lors des « fume events » (« incidents causés par des émanations »), il n’y a pas forcément un dégagement de fumée ou une opacification de l’air ambiant, mais une odeur caractéristique de « chaussette mouillée » (« dirty socks » en anglais).
Cependant, quelquefois l’odeur n’est pas perceptible et la reconnaissance d’un tel évènement ne pourra se faire qu’au travers de la détection des symptômes associés.
- Est-ce que les « fume events » sont rares ?
D’après une étude menée par la Norwegian University of Science and Technology de Trondheim en 2015, il apparaît que le taux d’incident est de l’ordre de 0,24 évènements par jour ou 0,2 évènements pour 1000 vols. Cependant l’absence d’appareils de mesure à bord fait que ces statistiques sont certainement minorées par rapport à la réalité.
- Qu’appelle-t-on le syndrome aérotoxique ?
Le syndrome aérotoxique est un état pathologique mêlant symptômes physiques et neurologiques, causé par les effets à court et à long terme d’une exposition à de l’air de cabines d’avion contaminées par des huiles de moteurs atomisées ou d’autres agents chimiques.
- Quels sont les symptômes et les effets d’une contamination ?
- Est-ce que les concentrations en produits contaminants lors d’un fonctionnement normal peuvent entrainer une intoxication à plus ou moins long terme ?
A l’heure actuelle, il n’y a pas eu d’étude menée sur le long terme. Cependant, les divers rapports qui ont été commandés par des élus CHSCT, et réalisés par des cabinets d’expertise montrent qu’au cours d’un vol « normal » la concentration dans l’air cabine en éléments toxiques n’atteint pas les seuils au-delà desquels la santé des personnels navigants et des passagers serait mise en danger. Toutefois, la présence de ToCP et de composés aldéhyde a été avérée. Il faut, donc, garder une vision pragmatique du problème, ne pas sombrer dans le catastrophisme mais inciter les laboratoires spécialisés à continuer leurs études et leur recherche.
- Est-il vrai que peu de gens sont sensibles à la contamination de l’air cabine ?
L’exposition à une contamination aux polluants organo-phosphorés ne produit pas les mêmes effets en fonction des individus. Certains sont plus sensibles que d’autres mais il est difficile de quantifier le pourcentage de la population susceptible d’être intoxiqué par des taux de polluant faible.
- Comment la contamination de l’air cabine affecte la sécurité des vols ?
Il est indéniable que les effets sur les PNT sont les plus à craindre puisque la perte de vigilance, la baisse de concentration, le ralentissement des fonctions cérébrales, impactent fortement la conduite du vol et tout le processus décisionnel de l’équipage. La pose des masques O2 doit être immédiate dès la détection d’un problème de contamination de l’air.
- Que faire suite à une contamination ?
L’ensemble de l’équipage et des passagers concernés doivent être pris en charge rapidement et procéder à une analyse sanguine au plus tôt. En effet, le test sanguin n’est interprétable que dans un laps de temps relativement court après l’exposition aux ToCP, les contaminants ne restant pas dans la circulation sanguine.
De plus, il existe, depuis quelques mois, un test capillaire, proposé par un laboratoire français l’IRES (Institut de Recherche et d’Expertise Scientifique), qui, à la manière de la recherche de substance illicite dans la lutte anti dopage, donne des résultats fiables dans la mesure de la contamination et se révèle être plus à même que le test sanguin de prouver une contamination. Il est possible de se procurer un kit pour faire effectuer un test capillaire sur le site de l’AVSA (Association des Victimes du Syndrome Aérotoxique).
- Existe-t-il des solutions au problème ?
Des solutions sont envisageables, comme la pose de filtres après la bleed air (une solution mise au point par un spécialiste de la filtration en aéronautique (PALL) va être proposée sur le marché d’ici la fin de l’année, mais également le remplacement de l’agent anti-usure TCP dans les huiles (le fabricant NYCO a dans son catalogue une huile pour réacteur, la NYCO OIL 600 qui est « TCP free » et est utilisée par de nombreuses compagnies dont AIR FRANCE grâce à l’action efficace des représentants SNPL AF au CHSCT PN AF)
Toutefois, il faudra envisager, à terme, des solutions plus radicales, à l’instar de celle adoptée sur le B787 qui a consisté en la conception d’une architecture du système de pressurisation et conditionnement d’air qui utilisent des compresseurs électriques en lieu et place du système de bleed.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que tant que les pressions médiatique et réglementaire ne seront pas assez fortes pour pousser industriels, constructeurs ou compagnies à passer le pas, le coût des modifications ou des nouveaux développements, sera un obstacle fort à la mise en place de solutions efficaces.
- Quelles sont les actions du SNPL FRANCE ALPA ?
Le SNPL FRANCE ALPA s’est positionné depuis longtemps sur cette problématique en participant aux différents groupes de travail que ce soit au sein de l’instance internationale GCAQE ou encore au sein du CEN TC436 chargé de l’établissement d’une norme sur la qualité de l’air cabine. La Commission technique, Cometec, compte deux experts qualité air cabine qui sont membres actifs dans les différents groupes de travail. Plus particulièrement, l’action du SNPL FRANCE ALPA porte sur la déclinaison des procédures en cas de « fume event », leur validation, les démarches médicales à effectuer, l’accompagnement et le suivi des pilotes victimes du syndrome aérotoxique.
Le premier Forum national consacré au problème de la qualité d’air cabine organisé par le SNPL et animé par les membres de la Cometec, s’est tenu au mois de mars 2017. Il a permis, aux membres de bureaux et aux élus des CHSCT des différentes sections de notre syndicat, d’échanger avec des spécialistes du monde médical sur le du problème de la qualité air cabine et du syndrome aérotoxique, ainsi qu’avec un ancien pilote de Lufthansa qui a perdu sa licence suite à un fume event, et dont le témoignage a été particulièrement poignant.
- Que font l’ECA et l’IFALPA ?
L’ECA (European Cockpit Association) et l’IFALPA sont actifs sur la problématique de la qualité d’air cabine. Grâce au travail de ses membres respectifs, et notamment des représentants SNPL, ces deux instances représentatives des pilotes ont élaboré des documents explicites sur les « Fume events ».
- Qu’est-ce que le GCAQE ?
Le GCAQE (Global Cabin Air Quality Executive) est une organisation internationale regroupant des syndicats de PNT et PNC dont les objectifs sont de :
- Faire prendre conscience aux pouvoirs publics, aux industriels de l’aérien, aux constructeurs de l’importance du problème de la qualité de l’air en cabine,
- Faire pression sur les fabricants d’huile pour faire modifier la composition de celles-ci, sur les constructeurs d’avion pour qu’ils modifient les circuits ECS et sur les autorités pour qu’elles règlementent sur cette problématique,
- Définir des seuils d’exposition et des protocoles médicaux pour les victimes des « fume events », mettre en place un suivi par prise de sang lors des visites annuelles,
- Trouver les bonnes procédures techniques en réponse aux évènements,
- Agir en expert dès lors qu’un évènement grave se produit.
Voir l’article du SPCK n°14 sur le sujet
- Où en est-on dans l’établissement d’une norme ? Rôle du CEN TC 436.
Depuis avril 2015, le centre européen de normalisation a mis en place un comité technique (TC), numéro 436, chargé d’établir une norme sur la qualité de l’air en cabine. Pour cela, quatre groupes de travail (TG) ont été chargé de :
- TG1: identifier et lister les polluants gaz ou particules.
- TG2 : définir les méthodes de mesure et d’échantillonnage des polluants listés par le TG1.
- TG3 : trouver ou faire développer des appareils de mesure adéquats.
- TG4 : mettre en place les procédures à suivre, tant techniques que médicales, suite à un évènement.
La composition de ces groupes de travail est variée avec des représentants de la commission européenne, de l’EASA, d’Airbus, des industriels de la filtration (Donaldsonn, Safran filtration ), des fabricants d’appareils de mesure, des pilotes, des personnels commerciaux, des représentants d’associations européennes de consommateurs, le médecin d’Air France. La structure qui est en charge de l’animation et l’organisation des réunions est le BNAE (bureau de la normalisation de l’aéronautique et de l’espace à Issy-les-Moulineaux). A l’heure actuelle, la fin des travaux et la mise en place de la norme ne sont pas attendus avant 2019.
- Et au niveau de l’OACI ?
Sous diverses pressions, dont notamment celles de la FAA, et du GCAQE, l’OACI a émis une circulaire en novembre 2015 l’ICAO circular 344 (https://bit.ly/2H477Tb), qui recommande aux compagnies de mettre en place de la formation/information sur le problème des « fume events » et de la qualité de l’air en cabine. Malheureusement, on ne peut que regretter que cette circulaire ne soit pas une obligation pour les compagnies et que trop peu d’entre elles aient mis en place un vrai programme de formation sur le sujet.
Dans les nombreuses missions dévolues à notre syndicat, il en est une qui est de tout mettre en oeuvre pour protéger la santé au travail de ses adhérents. C’est ce que fait parfaitement le SNPL, en donnant, à la Cometec et à ses membres, les moyens nécessaires pour assurer une présence dans toutes les instances nationales et internationales qui traitent des problématiques des pilotes.
C’est pourquoi, le SNPL est le seul syndicat de pilotes invité et présent lors des différents travaux, réunions, forums, colloques etc.. sur le problème de la qualité d’air cabine, ce qui conforte sa place de syndicat leader en ce domaine.
Soyez assuré de pouvoir bénéficier ainsi de l’information la plus récente en la matière.
De votre côté, apprenez à reconnaître un évènement « fume event » et adoptez le bon réflexe salvateur qui est de s’équiper au plus vite du masque O2 !!
Pour en savoir plus : adhérer au SNPL France ALPA