Green Deal européen et transport aérien :
Les pilotes face aux propositions du paquet climat
Dans notre précédent dossier consacré au transport aérien européen et à l’environnement, nous dressions les grandes lignes du Green Deal ou Pacte vert en nous focalisant plus particulièrement sur son “paquet climat” et sur ses implications attendues sur le secteur aérien. Nous ne pouvions cependant en rester au stade du simple constat sur des propositions législatives qui viendront impacter la vie quotidienne des pilotes dans les cockpits.
Dans ce second volet de notre dossier “Fit For 55”, les représentants du SNPL à l’international réalisent une analyse critique de l’impact de ces propositions législatives afin de mieux appréhender le point de vue syndical, les craintes engendrées par ces changements et les pistes de réflexion sur lesquelles ils travaillent.
Retour sur les aspirations du SNPL, celles de ses partenaires européens en matière d’environnement et les propositions d’amélioration imaginées par les pilotes.
Une action SNPL au niveau National…
Le SNPL n’a pas attendu la création de ce paquet législatif européen pour travailler sur les sujets environnementaux. Dès 2019 en effet, suite à l’annonce par le Gouvernement français de la mise en place d’une nouvelle « écotaxe » touchant l’aérien, le syndicat a décidé de collaborer avec Carbone 4, un cabinet indépendant spécialisé dans la transition carbone et l’adaptation au changement climatique, en travaillant plus particulièrement sur l’opportunité et sur l’efficacité réelle de la taxation verte, de la suppression des vols domestiques ou encore sur le développement des biocarburants.
…Mais aussi à l’international
Le SNPL est aussi très engagé sur les sujets environnementaux aux niveaux européen et mondial : ses représentants siègent dans un certain nombre de groupes de travail dédiés aux problématiques environnementales au sein de l’ECA (European Cockpit Association), de E4FC (Europeans for fair competition) et de l’IFALPA (International Federation of Air Line Pilots’ Associations).
Le SNPL France ALPA envoie régulièrement des représentants dans les Groupes de travail internationaux, qu’ils soient de nature purement technique ou plus spécifiquement dédiés aux conséquences sociales des mesures prises par le législateur. A titre d’exemple, un représentant de la Cometec participe régulièrement aux travaux du working group “Climate” de l’IFALPA. Les questions inhérentes au carburants, actuels et futurs (Sustainable Aviation Fuel – SAF), à la gestion du trafic aérien ou encore aux trajectoires y sont abordées et font l’objet d’élaboration de positions (Position Papers) ensuite validées par les associations membres. De même, à l’échelle européenne, le SNPL est très présent au sein d’E4FC et de la Task Force ENVI de l’ECA. Plusieurs représentants du Burex sont activement impliqués et travaillent en ce moment même sur les propositions “Fit for 55”.
Un soutien des pilotes, mais pas à n’importe quel prix
Que ce soit au travers d’E4FC ou de l’ECA, le SNPL réaffirme régulièrement son engagement en faveur de la réduction de l’empreinte carbone du transport aérien et marque son soutien à l’ambition définie dans le paquet “Fit for 55” de la Commission européenne, cependant certaines mesures proposées doivent être améliorées pour que nous puissions totalement les faire nôtres.
Il est clair que les initiatives proposées par la Commission européennes nécessiteront des investissements conséquents et augmenteront substantiellement les coûts d’exploitation pour les compagnies aériennes européennes, ce qui aura un impact sur leur compétitivité par rapport à leurs concurrents hors UE, et donc des effets sur les conditions sociales, voire sur les emplois.
Pour tenter de limiter ces risques, l’ensemble des représentants des pilotes européens, les compagnies aériennes européennes, comme les autres parties prenantes de la chaîne de valeurs, ont décidé de collaborer avec les décideurs politiques afin de convenir d’adaptations de certaines parties de ces propositions. Leur objectif est de définir de nouvelles règles européennes ambitieuses et efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique mais qui n’entraînent pas, comme c’est le cas pour les propositions actuelles, de risque de “détournement” du trafic aérien et donc une délocalisation des émissions de carbone hors des frontières de l’UE. Un tel “détournement” et cette “fuite carbone” ruineraient tous les efforts réalisés au niveau européen en faveur du climat, tout en favorisant le développement des compagnies étrangères.
Regard syndical sur les mesures de Fit For 55 pour l’aérien
>> Sur la révision du Système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE ou EU ETS) de l’Union européenne
L’aérien étant une industrie mondialisée, des mesures européennes unilatérales sont contre-productives et entraîneraient, en l’état, une distorsion accrue de la concurrence au sein de l’UE ainsi qu’au niveau international. Bien que la proposition de la Commission européenne concernant le “mécanisme d’ajustement à la frontière pour le carbone” ne soit pas applicable à l’aérien, le risque de délocalisation des émissions de carbone pour le secteur est indéniable ; il devrait à ce titre être reconnu par les régulateurs. La révision du SCEQE doit par conséquent pouvoir apporter des solutions à cet écueil.
Le SNPL et ses partenaires souhaitent que cette révision du SCEQE s’attaque précisément à ce risque de délocalisation des émissions de carbone et qu’elle garantisse des conditions de concurrence équitables entre les transporteurs européens et non européens. Dans l’actuel SCEQE, les compagnies aériennes reçoivent des quotas gratuits de manière non spécifique et sans lien direct avec le degré de désavantage concurrentiel potentiel. Pour traiter le problème des risques de délocalisation des émissions de carbone de manière adéquate et permettre une réglementation intelligente, équilibrée et plus efficace, un système différent pourrait être introduit, pour cibler spécifiquement la fraction du trafic aérien réellement exposée au risque de délocalisation des émissions de carbone.
>> Sur l’initiative “ReFuelEU Aviation”, en faveur de l’utilisation de carburants durables dans l’aérien
La proposition de règlement ReFuelEU pour l’aérien vise à accroître la production et l’utilisation des SAF (Sustainable Aviation Fuel) en Europe dans les années à venir.
Nous savons déjà que les SAF seront, même à l’avenir, plus chers que les combustibles fossiles. Il est donc primordial que l’Europe s’accorde sur une demande d’incorporation de SAF dans les mélanges qui soit parfaitement équilibrée. Actuellement, cette demande d’incorporation apparaît déséquilibrée quand on la place dans la perspective de la concurrence mondiale. A nouveau, la compétitivité des compagnies aériennes serait mise à mal par rapport au reste du monde, ce qui déplacerait le trafic et les émissions carbone hors de l’UE.
Le SNPL, notamment au sein de E4FC, plaide pour un soutien financier au développement et au déploiement des SAF, pour combler l’écart de prix avec les combustibles fossiles. Les SAF sont actuellement trois à six fois plus chers que les carburants classiques, et les carburants synthétiques sont même huit à dix fois plus chers que le kérosène ordinaire.
La proposition actuelle ne garantit des conditions de concurrence équitables que pour le trafic intracommunautaire. Elle a, en revanche, des effets de distorsion importants sur les trajets intercontinentaux, y compris sur les vols en correspondance. Ces effets ne pourront pas être solutionnés par la proposition relative à la prévention des pratiques de “tankering/surcharge carburant” qui n’apparaît pas réalisable et qui, de toute façon, ne concernerait pas les vols long-courriers au départ des hubs non européens. Si l’on prend l’exemple d’un vol de Madrid à Pékin via Francfort et retour, les compagnies aériennes de l’UE sont soumises au prix élevé du carburant pour trois vols sur quatre. En revanche, l’objectif de mélange de SAF n’affecte les compagnies aériennes non européennes que pour le premier vol à destination de la plate-forme non européenne choisie. Le deuxième vol, plus long, n’est pas couvert par le règlement, pas plus que le voyage de retour d’une plate-forme hors UE vers l’Europe. L’objectif de mélange de SAF doit donc être conçu de manière à garantir un marché de croissance ambitieux pour les SAF et, en même temps, des conditions de concurrence internationale équitables.
>> Sur la taxation des produits énergétiques et de l’électricité
L’introduction de taxes européennes sur le carburant ne peut avoir qu’un impact marginal sur l’environnement, car une telle mesure ne viendrait réduire que très peu la demande. A nouveau, une mesure unilatérale européenne aurait des conséquences financières très lourdes pour les compagnies aériennes européennes et sur leur compétitivité, tout en n’ayant qu’un impact symbolique, et donc inefficace, pour lutter contre le réchauffement climatique.
Le SNPL et les autres membres de l’E4FC ne soutiennent pas cette proposition de la Commission puisque le système de taxation prévu ne contribue pas à l’objectif de réduction effective des émissions de gaz à effet de serre. Une telle taxe ne rendra absolument pas les (futurs) vols plus durables. A l’inverse, une telle taxe conduirait les gouvernements à retirer aux compagnies aériennes européennes d’importantes ressources financières qui pourraient être investies directement dans la filière des carburants durables et dans l’achat ou le renouvellement de flottes plus récentes et plus respectueuses de l’environnement. C’est cela qui doit être au cœur de la décarbonation du secteur.
Actions auprès des législateurs : où en sommes-nous ?
Les travaux, notamment sur les textes SCEQE et RefuelUE, que ce soit sur la table du Conseil des ministres européens ou au sein des différentes commissions du Parlement européen (Transport et Environnement), avancent. Les échanges sont marqués par les antagonismes classiques sur ces dossiers environnementaux, mais rien n’est encore figé. Nous poursuivons donc notre travail d’analyse, d’expertise auprès de ces instances et leur proposons des éléments pour amender ces propositions législatives.
L’ambition environnementale de la Commission européenne risque d’être stoppée par le détournement de trafic et la “fuite carbone” hors des frontières de l’UE. Il importe donc de travailler à la mise en œuvre de conditions de concurrence équitables entre les transporteurs européens et non européens.
Nul doute que nous aurons l’occasion de revenir sur ce travail de long terme…