Au printemps 2019, à la suite de l’annonce par le Gouvernement de la mise en place d’une nouvelle « écotaxe » touchant l’aérien, le SNPL France ALPA a décidé de travailler avec Carbone 4, un cabinet indépendant spécialisé dans la transition carbone et l’adaptation au changement climatique, sur différentes problématiques environnementales.
Il s’agissait, au travers de cette collaboration, d’apporter des évaluations objectives aux différentes mesures susceptibles d’être mises en œuvre dans le transport aérien (TA) dans le cadre de sa transition écologique. L’éclairage apporté mesurait pour chaque mesure l’efficacité environnementale, et la mettait en perspective avec les impacts économiques pour les transporteurs. Les thématiques retenues abordaient les différentes options de taxation, la fiscalité du TA, l’affectation du produit des taxes, le développement des biocarburants, la suppression des vols domestiques.
Les premiers travaux ont porté sur l’étude de l’augmentation de plus de 80 % de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (taxe Chirac), adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2020. Ils ont montré qu’une telle taxation, non concertée au niveau international, avait un impact économique négatif important pour les transporteurs aériens en France, en dépit d’un impact sur le climat nul ou quasi-nul. Parallèlement, ils ont démontré que ce sont surtout les progrès techniques et opérationnels des transporteurs qui contribuaient le plus massivement à la modération de la croissance des émissions de CO2 de l’aérien.
Les résultats de la deuxième partie des travaux de Carbone 4, consacrée à la fiscalité de l’aérien et à l’affectation des recettes à la décarbonation du transport aérien, viennent confirmer ces constats, ainsi que les pistes de décarbonation de l’aérien les plus efficaces à soutenir : le renouvellement des flottes et le développement d’une filière de carburants alternatifs décarbonés.
Les travaux ont ensuite porté sur la réalisation d’un état des lieux des carburants alternatifs disponibles et sur les possibilités de développement d’une filière « bio-kérosène » française ou européenne. Cette étude a devancé les annonces faites par le Gouvernement le 28 janvier relave au lancement d’une feuille de route nationale pour l’émergence d’une filière de biocarburants durables dans le transport aérien en France, qui devraient représenter 2 % du total de la consommation de carburants en 2025 et 5 % en 2030.
L’idée de supprimer ou de restreindre fortement les vols domestiques et de préférer d’autres modes de transport étant très fréquemment avancée comme une solution pour faire baisser les émissions globales de carbone, le dernier volet des travaux de Carbone 4 est consacré à la mesure de l’efficacité environnementale de ces substitutions modales, ainsi qu’à leur impact économique, les possibilités pratiques de mise en œuvre, et leurs effets sur l’emploi.
La convention citoyenne sur le climat, dont les 169 proposions ont été rendues cet été, et sont susceptibles d’être mises en œuvre à l’automne au Parlement, a repris dans ses proposions la suppression des vols domestiques pour les trajets réalisables en moins de quatre heures, donnant un écho particulier à cette mesure.
Estimation de l’impact climatique et économique de la suppression des vols domestiques :
Pour tenter d’estimer l’impact climatique et le coût économique de la substitution d’autres moyens de transports au transport aérien domestique, Carbone 4 s’appuie sur plusieurs hypothèses de modélisation, notamment en termes de report de mode de transport (vers le train, le car, ou la voiture) en fonction de l’allongement des temps de trajet. Les données sur ces sujets sont rares et souvent confidentielles, soulignant une part non négligeable de spéculation et de variabilité aux conclusions. Néanmoins, cela permet d’aboutir à des ordres de grandeur utilisables.
* Un avantage indéniable au train en terme d’efficacité énergétique :
Une comparaison des facteurs d’émission a été effectuée entre les différents moyens de transport, en prenant en compte construction et maintenance (infrastructure et matériel pour le train), l’usage, des différents moyens de transport.
Il en ressort que, sur un trajet domestique, le TGV est 8 fois moins émetteur que l’avion, et que la voiture individuelle est un peu plus de deux fois moins émettrice dès lors qu’elle est occupée par plus d’une personne.
* Deux hypothèses de report modal, fonction du temps de trajet :
Au global, la disparition du transport aérien domestique rallonge les trajets en moyenne de 65 %. La modélisation a alors distingué deux cas : les trajets où le train est avantageux (20 % de gain de temps par rapport à la route) et les trajets où le train n’est pas avantageux. Les reports de mode de transport sont majoritairement orientés vers le train dans le premier cas, majoritairement vers la voiture dans le second.
A partir de cette nouvelle répartition du trafic, un nouveau calcul des émissions carbone des différents moyens de transport est alors effectué. Le bénéfice environnemental est important : 84 % de baisse des émissions carbone, sur le périmètre considéré. A l’échelle des émissions françaises du transport aérien, c’est une baisse de 6 %.
Le bénéfice économique est lui aussi positif pour le consommateur, qui voit le coût du transport diminuer de l’ordre de 19 %.
Mais le prix à payer est énorme. Au delà de l’augmentation drastique des temps de trajet, la chute de trafic, c’est- à-dire l’ensemble des passagers qui renoncent à voyager du fait de l’absence de solution alternative de transport, atteint 27 % en cas de temps en train avantageux et de 53 % en cas de temps en train non avantageux.
Cette perte de trafic porte un nom : enclavement. Pour les territoires mal desservis, notamment du fait de l’absence d’infrastructure TGV, la pénalisation est lourde et sans alternative.
Estimation de l’impact sur l’emploi :
En utilisant les outils de l’agence de la transition écologique (ADEME), et en les croisant avec les données du secteur du transport du Ministère de la Transition Écologique, Carbone 4 a tenté de quantifier les pertes et créations d’emploi directs et indirects associées à la disparition du domestique et au transfert de l’activité vers le ferroviaire ou le rouer collectif. Là encore, il apparaît que les hypothèses choisies peuvent amener à de fortes variabilités de résultats. Néanmoins, toutes convergent vers une tendance commune d’une perte globale d’emplois.
Dans le secteur aérien, l’estimation de la perte d’emplois est de 4 200 emplois directs et 8 500 emplois totaux. Le secteur aérien est, selon les différents consensus un meilleur pourvoyeur d’emplois indirects que les autres secteurs des transports. Ainsi, la recapture de trafic dans les transports collectifs ne générerait qu’environ 7 500 emplois totaux, dont 5 700 emplois directs.
Cela engendrerait donc un gain d’environ 1 500 emplois directs, mais une perte globale d’environ 1 000 emplois lorsque l’on prend en compte les emplois indirects. Les emplois induits (emplois générés par les dépenses des employés issus des emplois directs et indirects) et les effets catalytiques (impact sur l’attractivité des régions considérées et ses conséquences sur l’activité) ne sont pas pris en compte par l’outil d’évaluation utilisé pour faire ces projections.
En revanche, il est à noter que le report vers la voiture particulière, n’est pourvoyeur d’aucun emploi. Plus l’hypothèse de report vers le train sera faible, plus l’impact en terme d’emploi sera fort.
Enfin, le raisonnement n’est que numérique, il ne prend pas en compte la qualité des emplois concernés.
En conclusion, si les modélisations effectuées confirment l’intérêt climatique d’une substitution des vols domestiques par d’autres moyens de transports (diminution estimée à 84 % des émissions carbone), cet intérêt est néanmoins à remettre en perspective avec les émissions globales du transport aérien français qui ne baissent que de 6 %.
Si la substitution de certains vols métropolitains peut être souhaitée d’un point de vue environnemental, son niveau d’acceptabilité est réellement à évaluer lorsqu’elle about à un allongement de parcours très important. Cet allongement des temps de parcours induit d’une part une réduction de la mobilité entre les territoires français voire de réels enclavements, et d’autre part une perte de trafic pouvant aller au-delà de 50 % (sans parler de l’impact économique associé, non quantifié dans l’étude).
Surtout, ce scénario reste de l’aveu même de Carbone 4, extrêmement théorique et imparfait. En effet, il ignore deux éléments clés du transport aérien : la concurrence internationale et la présence de passagers en correspondance sur les vols domestiques. Le principal danger est de ce fait le report de passagers en connexion vers les hubs européens, au détriment des opérateurs français et sans aucun des bénéfices attendus pour le climat.
Pour le SNPL France ALPA, face à cette problématique environnementale, une réponse purement franco-française paraît totalement inadaptée puisqu’elle pénalise les acteurs nationaux tout en passant à côté de l’objectif de diminution des émissions de CO2.
La coordination a minima européenne, idéalement internationale, est la seule voie pour parvenir à des mesures environnementales qui ne fragilisent pas les transporteurs, et ne mettent pas à mal les règles de concurrence équitable.
Le débat sur la limitation des vols domestiques, abordé sous l’angle exclusivement environnemental, ignorant la concurrence internationale et l’économie du transport aérien, passera à côté de son objectif.
Alors que le secteur du transport aérien est déjà engagé dans la lutte contre le changement climatique, il apparaît clairement plus constructif de réfléchir à des mesures incitatives, pour soutenir le renouvellement des flottes ou le développement d’une filière française de carburants alternatifs, mesures qui viendraient compléter les améliorations énergétiques déjà réalisées. Cela permettrait aux compagnies françaises de démultiplier plus massivement la réduction de leur empreinte carbone tout en préservant leur compétitivité.
Plus globalement, le SNPL France ALPA souhaite participer à ces réflexions et à l’élaboration de scénarios ambitieux et réalistes de transition écologique du secteur aérien, qui soient vecteur d’impact auprès du secteur aéronautique et plus largement de la société publique. Ces réflexions doivent impérativement dépasser le cadre national et être portées, a minima, au niveau européen.