Programme CORSIA : avenir d’une aviation décarbonée ?

carte de l'Europe mention RGPD

Faisant suite à la COP 21 de décembre 2015, c’est le 6 octobre 2016 que la 39ème assemblée générale annuelle de l’OACI adopte le mécanisme de maîtrise des émissions de CO2 connu aujourd’hui sous le nom de CORSIA. Cette adoption marque un tournant pour l’aéronautique qui devient le premier secteur industriel au monde à se doter d’un tel outil de lutte contre le changement climatique, un outil à la fois universel et contraignant.

Ainsi, bien avant que la question de l’empreinte carbone des transports ne soit aussi clivante dans l’opinion publique, et contrairement aux idées reçues ou véhiculées par certains lobbies, l’aviation n’a pas attendu cette prise de conscience collective pour faire sa révolution.

A l’heure où le transport aérien est taxé de tous les maux et alors que la pandémie de Coronavirus le frappe de plein fouet et soulève bon nombre d’incertitudes, penchons-nous sur le projet CORSIA et sur son devenir.

 

CORSIA, un mécanisme né de l’Accord de Paris 

Le Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA), en français le Programme de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale, constitue le prolongement de l’Accord de Paris négocié lors de la COP 21. Pour rappel, cet accord ambitionne de limiter l’augmentation des températures à moins de 2°c d’ici la fin du siècle.

Pour satisfaire cet objectif, l’OACI a proposé aux acteurs du secteur, au sens large, de travailler simultanément sur plusieurs axes appelés « panier de mesures » :

  • L’amélioration de la performance environnementale des avions grâce aux progrès technologiques ;
  • L’optimisation des procédures de vols et des infrastructures en vue de réduire la consommation de carburant (éco-pilotage, etc.) ;
  • Le développement de filières de production de biocarburant ;
  • La mise en œuvre de mesures économiques incitatives.

Sources : OACI

Le mécanisme CORSIA s’inscrit dans cette dernière catégorie. Il doit concrètement permettre aux opérateurs aériens de participer à l’objectif de croissance neutre en carbone de l’aviation. Pour ce faire, l’année 2020 a été choisie comme année de référence et le concept baptisé « objectif de croissance neutre en carbone 2020 ». Dans les faits, les émissions de CO2 dépassant le niveau atteint en 2020 devront être compensées par l’achat de crédits dits de réduction des émissions de CO2 sur un marché spécifique, mondialisé et alimenté par des secteurs d’activités qui réduisent leurs émissions de CO2.

Un outil de mesure, de vérification et de suivi de ces émissions devra être mis en place au niveau mondial, par l’ensemble des Etats membres de l’OACI afin de calculer le niveau de la compensation à prévoir.

Depuis le 1er janvier 2019 déjà, les opérateurs émettant chaque année plus de 10000 tonnes équivalentes de CO2 sont tenus de déclarer annuellement leurs émissions. Pour tenir compte des écarts économiques entre les différentes parties du globe, l’OACI prévoit une mise en place progressive du mécanisme en trois phases.

 

Une phase pilote est prévue entre 2021 et 2023. A partir du 1er janvier 2021, les quelque 81 Etats volontaires (dont la France) c’est à dire environ 80 % de l’activité aéronautique mondiale seront soumis à des exigences de compensations calculées sur la base de l’augmentation moyenne des émissions de l’aviation. Pour ce faire, les transporteurs devront notifier à l’OACI le niveau de leurs émissions l’année précédente.

 

Au cours de la phase 1, prévue pour courir jusqu’en 2026, de nouveaux Etats volontaires viendront enrichir le mécanisme soient 88 % de l’activité aérienne mondiale.

 

Ce n’est qu’au cours de la phase 2, à partir du 1er janvier 2027, que tous les vols internationaux seront assujettis à la compensation carbone. 93 % de l’activité aérienne mondiale et 80 % des émissions de CO2 devraient alors être concernées. Quelques exceptions pourront être consenties pour les petits Etats, faibles émetteurs de CO2, les vols humanitaires, les vols effectués sur des appareils de MTOW< 5700 kg ou encore les opérateurs émettant moins de 10000 tonnes équivalentes de CO2/an.

 

Les Etats volontaires : Dès la phase pilote et dans la perspective de la phase 1, l’Europe, l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), le Japon, la Chine, les Emirats Arabes Unis, la Corée du Sud, la Thaïlande, l’Australie mais aussi quelques Etats Africains et du Pacifique se sont portés volontaires pour tester CORSIA. Ils seront rejoints dès 2027 (phase 2) par les autres grands Etats émetteur de CO2 que sont l’Afrique du Sud, le Brésil, le Chili ou les Philippines. La Russie et l’Inde ont pour l’heure émis quelques réserves sans pour autant rejeter le principe. Seront exemptés les Etats à faible niveau de vie ou à faible niveau d’émission de CO2 par rapport au trafic aérien mondial. 191 pays étaient signataires du mécanisme CORSIA en 2019.

Comment les émissions de CO2 sont-elles calculées ?

Depuis janvier 2019, les compagnies aériennes concernées par une route entre deux Etats participant à CORSIA sont tenus de déterminer leurs émissions sur lesdites routes et d’assurer le suivi de leur consommation de carburant. Les calculs sont vérifiés par un tiers indépendant.

A partir de 2021, chaque année, ces mesures seront comparées à celles effectuées durant l’année de référence (2020) sur ces mêmes routes. La quantité de CO2 à compenser sera ensuite déterminée en multipliant la quantité des émissions annuelles de l’opérateur d’une année donnée par un facteur de croissance (calculé par l’OACI) qui correspond au pourcentage d’augmentation de la quantité des émissions entre 2020 et l’année considérée.

 

Calcul de la quantité de CO2 à compenser : Emissions annuelles de la compagnie x facteur de croissance* = quantité de CO2 à compenser par ladite compagnie* Mis à jour chaque année par l’OACI pour chaque compagnie

 

Le calcul une fois effectué, l’opérateur pourra bénéficier de déductions sur la quantité de CO2 à compenser en faisant valoir son utilisation de carburant durable pendant la période considérée (une période de conformité de trois ans sera dans un premier temps mise en place). Il appartiendra à l’Etat membre de déduire ces avantages et de signifier audit opérateur la quantité finale d’émissions à compenser pour la période de conformité. L’opérateur devra ensuite s’acquitter de l’achat des crédits correspondants (aussi appelés unités d’émission admissibles) et de présenter à l’Etat membre un rapport annuel d’unités d’émission validées. C’est à l’Etat en question de vérifier le rapport et d’en notifier l’OACI.

En complément, les Etats participants au mécanisme CORSIA ont obligation de vérifier tous les trois ans que leurs exploitants se conforment bien au dispositif. Les compagnies devront notamment consigner leur consommation de carburant sur les vols internationaux inclus dans le dispositif, conformément à une méthode de suivi approuvée par l’Etat. Cinq méthodes ont été à ce jour listées par l’OACI notamment la méthode CERT (CORSIA CO2 Estimation and Reporting Tool), développée par l’Organisation elle-même.

 

La période de conformité : Entre 2021 et 2023, le calcul du montant des émissions de CO2 à compenser pour chaque compagnie chaque année sera réalisé par l’État. En 2023, l’État effectuera le calcul du montant final des émissions de CO2 à compenser, c’est à dire le montant de crédits carbone que chaque compagnie devra acheter pour les restituer à l’OACI. L’Etat devra ensuite décompter chaque année les réductions d’émissions issues de l’usage des carburants durables éligibles par CORSIA.

 

A noter que depuis 2019, tous les Etats membres de l’OACI dont les opérateurs effectuent des vols internationaux sont tenus d’assurer annuellement le suivi et la vérification des émissions de CO2, qu’ils participent ou non au programme CORSIA. C’est ce que l’OACI a baptisé le MRV pour Monitoring, Reporting, Vérification.

 

Vers un facteur de croissance individualisé :Dans un premier temps, le facteur de croissance sera calculé sur la base de la croissance moyenne mondiale des émissions du secteur de l’aviation pour une année donnée. A partir de 2030, l’OACI prévoit de privilégier un facteur de croissance des émissions basé sur la seule croissance annuelle de l’opérateur considéré.

 

Un achat de crédits carbone très encadré

CORSIA suppose un achat de crédits de compensation. Les compagnies aériennes ne sont cependant pas libres de ces achats. Elles devront obligatoirement les acquitter auprès de plusieurs programmes dûment approuvés par l’OACI. Un appel à candidatures a été lancé en 2019 auprès de porteurs de projets potentiellement éligibles. Pour ce faire, une liste de critères a été dressée (crédibilité du projet, transparence de son contrôle, permanence de son fonctionnement, impact sur les émissions de CO2, dommage occasionnés à l’environnement, etc.). 14 candidatures ont été reçues et examinées par le Comité consultatif technologique ou Technical Advisory Body (TAB) de l’OACI, un conseil de 19 experts désignés par les plus gros Etats volontaires. Six organismes ont été notamment approuvés : American Carbon Registry, Gold Standard ou le Verified Carbon Standard (VCS), Chinese Credit Emission Reduction (CCER), Clean Development Mechanism (MDP) et Climate Action reserve. Ces organismes ont été retenus pour leur connaissance du marché du carbone et leur capacité à identifier des programmes /projets à faibles émissions de CO2.

D’autres organismes pourraient être eux aussi accrédités dans un avenir proche (dont un issu de la Banque Mondiale).


CORSIA : une mise en œuvre unanime ?
 

Lancé avec ferveur en 2016, le projet CORSIA pourrait rencontrer quelques difficultés de mise en œuvre du fait de certains désaccords entre les pays membres de l’OACI. Quelques divergences ont notamment été observées lors de l’Assemblée générale annuelle de l’OACI de 2019. Les débats se sont en effet avérés houleux entre l’Europe et une coalition Chine / Russie sur la poursuite de la mise en œuvre de CORSIA selon le calendrier initialement fixé et sur la nécessité de se doter d’un objectif de réduction des émissions de carbone à long terme, l’Europe souhaitant d’ores et déjà fixer des objectifs plus ambitieux à long terme que ceux proposés dans le texte de 2016.

L’Europe se caractérise en effet depuis l’émergence de CORSIA par une volonté de ne pas s’en tenir à ce seul mécanisme. Si CORSIA vise à stabiliser les émissions de CO2 de l’aviation internationale au niveau de celles de 2020, L’Union européenne s’efforce de mettre en place parallèlement un système de réduction des émissions sur les vols intra-européens de – 43 % en 2030 par rapport à 2005. Ce dispositif, baptisé UE-ETS (système européen d’échange de quotas d’émissions), doit faire l’objet d’un rapport de la Commission européenne à paraître fin 2020 pour déterminer s’il est susceptible de pouvoir fonctionner de concert avec CORSIA. Il prévoit l’application d’un facteur de réduction du plafond annuel d’émissions de CO2 à de nombreux secteurs industriels (production électrique, etc.) dès 2021. Pour l’aviation, ce facteur devrait être de 2,2 %. Son applicabilité pourrait être étendue dès 2024 aux vols extra-européens.

 

CORSIA : remis en questions après la COVID-19 ?

Si les engagements de CORSIA demeurent, la crise du Coronavirus a contraint les décideurs à modifier certains paramètres. Avec la chute du trafic aérien au premier semestre de cette année, il était en effet devenu extrêmement difficile de conserver l’année 2020 comme année de référence pour les calculs des émissions de CO2 générées par le secteur aérien. Aussi, afin que ces calculs ne soient pas biaisés, le Conseil de l’OACI a décidé fin juin 2020 de désigner l’année 2019 en tant qu’année de référence, une décision accueillie avec soulagement par les opérateurs.

 

CORSIA : les limites

Outre les objections soulevées par certains Etats membres de l’OACI quant à son applicabilité dans un calendrier très strict et avec un chiffrage aussi contraint, CORSIA pourrait souffrir de quelques limites. Quelles seraient en effet à court terme les modalités de sa mise en œuvre en Europe si le programme UE-ETS n’était pas compatible avec ce mécanisme international ?

A moyen et à long terme, les opérateurs consentiront-ils à poursuivre leurs efforts dans le cadre de CORSIA si le risque de double comptabilisation des émissions de CO2, au profit d’un Etat, n’est pas écarté ? En effet, l’effort de réduction des émissions de CO2 consenti par une compagnie aérienne donnée au titre de CORSIA, ne devrait pas pouvoir être comptabilisé dans la réduction de l’empreinte carbone de l’un ou l’autre des Etats desservis sans quoi cette double comptabilité pourrait décourager les participants. L’OACI a requis des lignes directrices pour éviter ce double comptage et encourage les Etats à de la transparence dans leurs calculs (article 6 de l’Accord de Paris). Ces lignes directrices doivent être abordées lors de la prochaine COP en décembre 2020. Seront-elles prêtes en temps et en heure ?

Et plus généralement, les compagnies aériennes accepteront-elles des efforts importants et continus s’ils ne sont pas équivalents dans d’autres secteurs industriels notamment dans celui des transports ?

« Selon l’OACI, entre 1960 et 2010,
les progrès technologiques ont permis une diminution
de 70 à 80 %
de la consommation carburant par passager
et des émissions de CO2 associées »

 

CORSIA : plus qu’un programme d’action, un symbole

Améliorer de 2 % par an jusqu’en 2050 le rendement carburant et générer une croissance carbone neutre à partir de 2020, sont les deux objectifs ambitieux de l’OACI auxquels CORSIA devrait participer pleinement dans quelques mois. Ce système de compensation carbone ne saurait cependant être considéré comme la seule réponse du secteur aux enjeux climatiques. Avec l’introduction de nouvelles technologies dans les avions, l’optimisation des pratiques opérationnelles et l’amélioration des infrastructures, CORSIA constitue un tout auquel participent les pilotes à leur échelle.

Certes, le programme CORSIA n’est pas LE remède miracle de l’aérien en faveur de la lutte contre le changement climatique mais il peut être considéré comme un symbole. Par son adoption volontaire et son côté contraignant, il démontre en effet, plus que dans n’importe quel autre secteur industriel ou économique, la prise de conscience des acteurs de l’aérien de la nécessité de modérer son empreinte carbone, quand bien même cette empreinte est souvent surestimée par les détracteurs de ce mode de transport.

 

Nul ne sait, en cette période d’incertitudes post COVID, si ce programme répondra à ses objectifs dans le calendrier initialement programmé, surtout dans un secteur aussi durement éprouvé par l’effondrement de son activité. Il convient cependant de promouvoir son existence et de faire en sorte que sa mise en place s’accompagne de « mesures facilitantes » par les Etats. Nous suivrons cette mise en œuvre avec intérêt.

 

Pour en savoir plus sur CORSIA, nous vous invitons à visionner les vidéos suivantes :
* CORSIA : La mise en œuvre vue par l’OACI
* Mécanisme de calcul des émissions par le CERT

Et à consulter les FAQ du site OACI sans oublier l’Accord de Paris

 

Le saviez-vous ?  Depuis la signature du Protocole de Kyoto en 1997, l’OACI est compétente pour établir des normes et des pratiques recommandées, au nom des Nations Unies, pour tout ce qui concerne l’amélioration de la performance environnementale du transport aérien international. Le Comité pour la protection de l’environnement en aviation (CAEP), constitué de 400 experts internationaux, d’organisations professionnelles et d’ONG, la conseille dans cette tâche.

Et pour conclure, quelques chiffres :
En 2019, le transport aérien a émis environ 2 à 2,5 % des émissions mondiales de CO2 soient 580 millions de tonnes.

Et dates clefs concernant le plan d’action OACI de stabilisation des émissions de CO2 :
-> 2005-2020 : ralentissement des émissions de 1,5 %/an (amélioration de l’efficacité énergétique des appareils)
->2020-2035 : croissance neutre en carbone
->2035-2050 : réduction de 50 % des émissions de CO2 par rapport à 2005

Dossier publié dans la revue La Ligne de septembre 2020