Green Deal européen et transport aérien :

 

Retour sur le paquet climat du pacte vert européen

 

Le 14 juillet 2021, à grand renfort de communication, la Commission européenne publiait son paquet climat dans le cadre de la mise en œuvre de son Pacte vert (ou Green Deal) sous la forme d’une série de propositions législatives. L’objectif de ce plan inédit est d’adapter la politique environnementale de l’Union européenne aux futurs enjeux climatiques, énergétique et fiscaux. Avec l’ambition de faire du continent européen le premier ensemble climatiquement neutre en 2050, ce paquet climat, aussi appelé « Fit For 55 », touche potentiellement tous les transports, du routier au maritime. A ce titre, l’aérien figure parmi les secteurs industriels prioritairement visés par le projet.
Voici, en quelques mots, ce dont le paquet climat dispose pour notre secteur d’activité.

 

Green Deal : la genèse

En juin 2019, le Conseil européen appelle l’Union européenne à « redoubler d’efforts pour lutter contre le changement climatique » conformément aux engagements internationaux pris par l’UE dans le cadre de l’accord de Paris signé en décembre 2015 lors de la COP21.

Quelques mois plus tard, en décembre 2020, à l’occasion du Conseil européen, les dirigeants de l’UE approuvent l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre proposé par la Commission et requièrent l’adoption rapide d’une loi sur le climat.

Suivant les orientations du Conseil européen, le Conseil « Environnement » parvient début 2021 à un accord sur l’orientation générale de la loi européenne sur le climat, incluant l’objectif de réduction de 55 % des émissions.

En avril 2021, le Conseil et le Parlement s’accordent sur une proposition de texte de loi provisoire sur le climat, qui est ensuite soumis à l’approbation des deux institutions, avant son adoption définitive. L’accord est approuvé en mai 2021.

Il en découle très rapidement, sous l’impulsion de la Présidente de la Commission Ursula Von Der Leyen, la fixation d’un objectif de mise en œuvre d’une politique trans-sectorielle. Celle-ci prévoit, d’une part, la mise à jour de la législation européenne existante et, d’autre part, le lancement de nouveaux projets industriels. Dans cette perspective, douze propositions sont présentées le 14 juillet 2021. Ces propositions couvrent des domaines d’action très variés mais tous étroitement liés : climat, environnement, énergie, transports, industrie, agriculture et finance durable.

Au cœur de cette politique volontariste figurent la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre sous dix ans et la réduction progressive de la dépendance économique de l’UE par rapport aux énergies fossiles. Ce faisant, la Commission européenne souhaite également établir de nouvelles normes environnementales susceptibles d’être adoptées par la suite à une échelle internationale, bien au-delà des seules frontières des États membres de l’Union, et faire de l’Europe un continent pionnier dans ce domaine.
C’est dire, dans ce contexte, si l’horizon de 2030 n’est pour la Commission qu’une étape préalable à la neutralité carbone en 2050.

 

Le rôle du Conseil et de la Commission dans le processus législatif

Le Conseil européen fournit des orientations politiques concernant les politiques de l’UE.La Commission présente au Conseil de l’UE ainsi qu’au Parlement les propositions et les initiatives (ici dans le cadre du pacte vert). Les Ministres de l’UE, réunis au sein de différentes formations du Conseil, examinent ensuite les initiatives législatives (et non législatives) proposées.La législation qui en découle est adoptée, dans la plupart des cas, selon la procédure législative ordinaire, en vertu de laquelle le Conseil et le Parlement européen statuent en tant que co-législateurs.

 

Fit For 55 : les douze propositions

Le paquet climat « Fit For 55 », que l’on pourrait traduire par « ajustement à l’objectif 55 » fait référence à l’objectif de réduire de 55 %, par rapport à 1990, les émissions de gaz à effet de serre de l’UE à l’horizon 2030. Pour ce faire, un ensemble de douze propositions de révision et d’actualisation de la législation européenne a été dressé pour veiller à atteindre des objectifs fixés par le Conseil et le Parlement européen dans un « cadre cohérent, équilibré, équitable et juste socialement ». Ces propositions ont en outre pour objectif de maintenir voire de renforcer l’innovation et la compétitivité de l’industrie européenne dans le respect d’une concurrence équitable entre les États membres et avec les pays tiers.

Nous pourrions les lister comme suit :

  • La révision du système d’échange de quotas d’émission (SEQE ou EU ETS) de l’Union, son extension au transport maritime, la révision des règles relatives aux émissions de l’aviation et la mise en place d’un système distinct d’échange de quotas d’émission pour le transport routier et les bâtiments ;
  • La révision du règlement sur la répartition de l’effort de réduction des émissions des États membres dans les secteurs ne relevant pas du SEQE ;
  • La révision du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres de leur changement d’affectation et des forêts ;
  • La révision de la directive sur les énergies renouvelables ;
  • La refonte de la directive sur l’efficacité énergétique ;
  • La révision de la directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs ;
  • La modification du règlement établissant des normes d’émission de CO2 pour les voitures et camionnettes ;
  • La révision de la directive sur la taxation de l’énergie ;
  • Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ;
  • L’initiative ReFuelEU Aviation pour l’utilisation de carburants durables dans l’aviation ;
  • L’initiative FuelEU Maritime pour un espace maritime européen vert ;
  • Le fonds social pour le climat.

Sans surprise, parmi les douze propositions de la Commission, les transports sont directement impactés par plusieurs d’entre elles, avec des objectifs affichés qui ne sont pas sans conséquence sur l’aérien en particulier.

Revenons plus en détail sur celles qui impacteront le plus le secteur :

>> Réviser le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre  

Dans l’objectif d’accélérer la transition écologique, la Commission fait le pari de réviser le mécanisme existant, baptisé EU ETS (European Union Emissions Trading System ou SEQE UE – Système d’échange de quotas d’émissions) dont la mesure est basée sur le marché du carbone, en supprimant progressivement, de 2024 à 2026, les quotas gratuits distribués aux exploitants d’aéronefs. Cette baisse serait respectivement de 25 % en 2024 puis de -50 % l’année suivante et de -75 % en 2026 avant de disparaître totalement en 2027.

Pour atteindre l’objectif d’émission strict de 2030, la Commission propose de surcroît de réduire le plafond d’émission de 4,2 % par an, au lieu des 2,2 % actuels. Elle encourage parallèlement les États membres à utiliser les revenus de la mise aux enchères pour lutter plus drastiquement contre le changement climatique. En termes de champ d’application, l’ETS continuerait à s’appliquer aux vols intra-Union ainsi qu’aux vols à destination du Royaume-Uni et de la Suisse, en exemptant ces vols des exigences de compensation CORSIA. Pour les autres vols internationaux, les compagnies aériennes de l’UE seraient obligées d’appliquer le système d’échanges OACI CORSIA.

Qu’est-ce que l’EU ETS ?

Depuis février 2009, l’Union européenne dispose de l’European Emissions Trading System, un système d’échange de quotas d’émission de CO2 pour les installations industrielles, la production d’électricité et l’aviation. Celui-ci couvre environ 45 % des émissions européennes de CO2. Transposée dans le Code de l’environnement, la directive européenne 2008/101/CE dans laquelle il trouve son origine concerne tous les vols IFR à destination ou au départ de l’UE, à l’exclusion de certains types de vols (humanitaires) et de certains CTA. Ce dispositif impose un plafond global d’émissions, révisés chaque année à la baisse, et permet l’achat ou la vente de quotas d’émission.

>> Encourager le recours à davantage de carburant durable

La proposition ReFuelEU Aviation concerne le secteur de l’aviation comme celui de l’énergie et marque la forte volonté des décideurs de l’UE d’encourager l’utilisation accrue de carburants durables d’ici à 2050. Une politique volontariste sera effectivement nécessaire dans ce domaine pour atteindre une meilleure adéquation entre l’offre et la demande afin que les prix de ce type de combustible baissent rapidement. L’accélération de la production, du déploiement et de la fourniture de carburants aéronautiques durables (SAF à base de biocarburants avancés et e-kérosène), abordables et de haute qualité en Europe constitue l’un des enjeux de la décennie.

Dans le cas qui nous occupe, la proposition ReFuelEU Aviation exigera des fournisseurs de carburant qu’ils mélangent un niveau de plus en plus élevé de carburants durables au carburant classique existant – cette proportion de SAF augmenterait graduellement de 2 % en 2025 à 63 % en 2050 – idéalement depuis les plates-formes aéroportuaires de l’UE, d’où la nécessité de prévoir toutes les infrastructures de transport et de stockage adéquates. A noter que les biocarburants à base de cultures (dits de 1ère génération) seraient progressivement exclus des mélanges.

La proposition vise aussi à accroître la demande et l’offre de carburants de synthèse pour l’aviation, tout en assurant des conditions de concurrence égales sur l’ensemble du marché du transport aérien de l’UE.

Elle prévoit en outre que toutes les compagnies aériennes, communautaires ou non, au départ des aéroports européens appliquent les mêmes dispositions. Elle dispose enfin pour les États membres la possibilité d’introduire, en cas de non-respect de ces dispositions, des sanctions à l’encontre des fournisseurs de carburant d’aviation et des exploitants d’aéronefs.

Pour compléter ces mesures de promotion des SAF, la Commission européenne prévoit la création à court terme d’une alliance pour l’aviation à zéro émission avec pour objectif de rassembler l’ensemble des acteurs du futur écosystème de l’avion propre. Le projet de développement d’une filière hydrogène spécifique entre dans le cadre de cette alliance, tout comme les projets d’avion électrique.

>> Réviser la directive sur la taxation de l’énergie (ETD) et inciter à la transition verte

Les modifications proposées à la directive existante visent à rendre les carburants plus propres, plus attractifs dans tous les modes de transport. Pour l’aviation, cela suppose la fin de toutes les subventions aux combustibles fossiles et une révision des exonérations fiscales actuelles sur le kérosène pour les vols intra-UE.

Concrètement, à compter de 2023, le taux d’imposition minimal du carburant d’aviation pour ces vols serait progressivement revu à la hausse sur une période de 10 ans, jusqu’à ce que le taux plein de 10,75 EUR/GJ (Giga joule) soit imposé. Les SAF, y compris l’hydrogène renouvelable et les biocarburants de nouvelle génération, ne seraient pas soumis à ces taxes pendant cette période de 10 ans et les vols de fret seraient exemptés.

En complément de ces douze propositions législatives, le programme Fit For 55 prévoit des mesures annexes qui toucheront, elles-aussi, le secteur aérien mais indirectement.

Ainsi, de nouvelles infrastructures électriques pour les aéroports sont prévues dans le cadre d’un règlement sur les infrastructures de carburants de substitution (Alternative Fuel Infrastructure Regulation – AFIR) et un nouvel objectif pourrait être fixé dans le cadre du règlement sur la répartition de l’effort, lequel obligerait les États membres à préparer de nouvelles mesures nationales sur les réductions annuelles obligatoires des émissions de gaz à effet de serre.

Nous pourrions aussi évoquer la proposition sur le fonds social pour le climat, destiné à aider les États membres à atténuer les conséquences sociales des autres mesures et dont le financement passera par le nouveau système d’échange de quotas d’émission.

Et nous pourrions enfin évoquer la question du Ciel unique européen, projet lancé en 1999. La Commission a en effet appelé le Conseil et le Parlement européen à se mettre rapidement d’accord sur une révision du cadre réglementaire relatif au ciel unique, dont on estime qu’il pourrait contribuer à réduire les émissions de l’aviation de près de 10 %. Pour rappel, ce projet ambitionnait en 2004 un triplement de la capacité d’espace aérien, une réduction de moitié des coûts de la gestion du trafic aérien, et une amélioration par dix de la sécurité à l’horizon 2030-2035.

 

Fit For 55 : où en sommes-nous ?

Début décembre 2021, le Conseil des Transport de l’Union s’est réuni afin d’effectuer un point d’étape sur la base d’un rapport relatif à l’état d’avancement des travaux. Les Ministres des Transports des États membres ont tenu à cette occasion leurs premiers échanges formels sur chacune des propositions relatives au transport et ce, afin d’orienter la suite des travaux. La crise sanitaire, qui a durement éprouvé le transport aérien, a fait l’objet d’une remise en perspective des objectifs initialement fixés. Ceux-ci ont toutefois été maintenus pour la plupart des propositions de Fit For 55.

Sur la proposition ReFuelEU Aviation, le Conseil a estimé que, malgré la crise sanitaire la seule manière pour l’industrie de se rétablir est de poursuivre ses efforts dans le domaine climatique tout en garantissant la connectivité aérienne pour les citoyens et un marché compétitif. Il a particulièrement insisté sur le besoin de garantir des capacités de production et de distribution suffisantes pour fournir les carburants durables nécessaires au secteur et éviter la fragmentation du marché. Certains États membres se sont toutefois déclarés préoccupés par les règles budgétaires relatives à l’utilisation des recettes provenant des amendes. Cette partie du dossier doit encore être rediscutée.

S’agissant du « Ciel unique européen », plusieurs réunions de travail se sont tenues entre la présidence de l’Union, le Conseil des Transports et le Parlement européen sur des questions essentiellement techniques. Le Conseil a parallèlement examiné le projet de décision relative à la mise en œuvre de la notification de la compensation au titre du « régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA) pour les exploitants d’aéronefs établis dans l’UE ». La question de la connectivité aérienne a également fait débat, plusieurs États membres ayant demandé des mesures pour remédier au déficit de connectivité en Europe lié à la crise sanitaire, pour faciliter la reprise rapide du secteur et veiller à une transition écologique harmonieuse et juste pour tous les États membres.

 

En ce début 2022, les discussions se poursuivent autour du pacte vert et de son paquet climat.

Fin janvier 2022, les Ministres de l’Environnement et de l’Énergie se sont réunis de façon informelle à Amiens dans le cadre de la Présidence française de l’UE. S’il n’y a pas eu d’avancée particulière sur le paquet climat lui-même – les questions du coût de l’énergie ont constitué l’essentiel des débats –, les participants se sont attachés à rappeler que les réformes envisagées pour la transition écologique dans le cadre du pacte vert européen se devaient d’être justes, équilibrées et tenir compte des conséquences sociales.

Le SNPL et ses partenaires européens resteront particulièrement attentifs sur ce dernier point.

 

De nouveaux Conseils « Environnement » et conseils des Ministres des Transports européens se tiendront dans les prochains mois. Les discussions sur le Green Deal devraient par conséquent se poursuivre une grande partie de l’année 2022.
Si les grands principes listés dans les douze propositions du paquet climat devraient être maintenus et l’esprit des co-législateurs conservé, le détail des dispositions est donc encore susceptible de modifications en fonction des intérêts exprimés par les différents États membres.

 

Fit For 55 : le point de vue des compagnies aérienne membres de l’A4E (Airlines For Europe)

Parmi les nombreux acteurs de l’aérien, le paquet « Fit for 55 » aura un impact significatif sur les compagnies aériennes européennes.

Elles en ont pleinement conscience et attendent de l’Union européenne des mesures politiques fortes afin de leur permettre des investissements dans de nouvelle flotte, dans les carburants aéronautiques durables (SAF) et dans les nouvelles technologies (avions électriques et à hydrogène). Dans une déclaration commune à la mi 2021, elles ont indiqué que, malgré la crise sanitaire et les difficultés financières inhérentes à cette période d’incertitudes, elles entendaient maintenir leur objectif d’accélérer la réduction des émissions de CO2 d’ici 2030 et celui de la neutralité carbone en 2050 pour tous les vols à l’intérieur et au départ de l’Europe.

« Ces propositions auront un impact transformateur sur le secteur. Nous sommes impatients de travailler avec les décideurs politiques pour que les compagnies aériennes puissent tenir leurs engagements, tout en veillant à ce que les régulateurs jouent également leur rôle. En fin de compte, nous devons maintenir le transport aérien abordable et accessible à tous les citoyens », déclarait ainsi Thomas Reynaert, Directeur général d’Airlines for Europe (A4E) en juillet 2021.

Pour rappel, l’Association dont les compagnies membres représentent environ 70 % des voyages en Europe est, parmi d’autres, à l’origine de la feuille de route « objectif zéro émissions nettes de CO2 en 2050 ».

Les transporteurs sont en effet particulièrement attentifs au fait que la réglementation en matière climatique, poussée à l’extrême, peut être potentiellement contre-productive sur le plan écologique et économique. Ainsi, des taxes européennes mal conçues non seulement ne réduiraient pas les émissions de CO2, mais rendraient les vols plus chers avec le risque de déplacer la demande au niveau mondial et ainsi de réduire le trafic au niveau local.

Partant de ce postulat, les compagnies mettent en garde le législateur européen contre une potentielle une tarification unilatérale (et double) du CO2. En effet, si les compagnies aériennes européennes sont appelées à contribuer à l’EU ETS dans le cadre du système d’échange de quotas de CO2, elles entendent ne pas avoir à le payer à nouveau ailleurs. Pour elles, les futures politiques de l’UE doivent garantir et soutenir la compétitivité du secteur, tout particulièrement à l’issue de la crise sanitaire.

Plus généralement, elles craignent que « Fit for 55 » n’affecte leur compétitivité et celle de l’ensemble de l’écosystème de l’aviation, de l’industrie touristique européenne et de l’économie européenne au sens large. C’est pourquoi, elles réclament des mesures de mitigation : des réglementations uniformes, un ajustement aux frontières et des mécanismes de financement préservant une concurrence juste, au sein et en dehors de l’Europe.

Dès lors, de leur point de vue, toute nouvelle taxe sur l’aviation devra tenir compte des coûts globaux propres aux compagnies aériennes en Europe et de leurs efforts en faveur de la décarbonisation du secteur. Il s’agit, entre autres, des taxes sur les billets, des taxes de solidarité, des redevances de contrôle du trafic aérien, des redevances aéroportuaires et des coûts de sécurité, ces derniers étant pris en charge par l’État dans d’autres secteurs. Ces coûts sont en effet, comme elles le rappellent, inégalement supportés par les autres modes de transport et doivent donc être mieux pris en compte lors de l’élaboration des politiques économiques. Elles ne manquent pas d’ailleurs de souligner, sur ce dernier point, que le transport ferroviaire n’est que très peu mentionné dans les propositions du paquet climat.

Dossier à suivre…