Explosion du marché des drones :

Où en sommes-nous avec la réglementation et le partage de l’espace ?

Il est bien loin le temps où les drones, à vocation essentiellement militaire, avaient la taille d’un jet d’affaires et survolaient furtivement les zones de combat… Ces dernières semaines la presse s’est fait écho de plusieurs cas de quasi-collisions en vol entre des drones de petite taille et des avions de ligne. La démocratisation des drones, notamment auprès du grand public, pose désormais la question du partage de l’espace sur fond de sécurité des vols lorsque ceux-ci sont repérés à proximité des aéroports. En France, deux textes visant à réglementer leur usage ont été adoptés en décembre 2015. Le mois dernier, deux sénateurs ont déposé un projet de loi inspiré d’un rapport établi par le Secrétariat Général de  la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN). Le mois dernier, un colloque de deux jours s’est tenu à l’université d’Aix-Marseille III, au sein de l’Institut de Formation Universitaire et de Recherche sur le Transport Aérien (IFURTA) sur le sujet.

C’est dire si le phénomène est plus que jamais d’actualité, imposant à tous les acteurs du transport aérien un véritable débat sur son développement. Le SNPL au travers la Cometec et de l’ECA sont depuis le début très impliqués dans le dossier, tout particulièrement du point de vue réglementaire.
La Rédaction de la Ligne vous propose un état des lieux du phénomène en 4 questions.

 

Qu’est ce qu’un drone ?

Basiquement, l’appareil est défini en tant qu’aéronef circulant sans personne à bord.  En anglais, on parlera de RPAS  (Remotely Pilot Aircraft System) ou également UAV pour Unmanned Air Vehicle.

Concrètement, on peut caractériser les drones aériens civiles suivant 6 critères :
→ Leur usage civil ou professionnel,
→ Leur masse : micro drones jusqu’à 2 kg (98 % des drones en service) et mini drones entre 2 et 25 kg,
→ Leur configuration aérodynamique: voilure fixe ou voilure tournante,
→ Leur motorisation : moteur thermique ou électrique,
→ Leur mode de pilotage : “ en vue” le télépilote actionne son drone en le gardant constamment à portée de vue soit un pilotage “hors vue” lorsque le télépilote dirige son drone à l’aide d’une caméra embarquée ou via un pilotage automatique par programmation et avec un parcours GPS,
→ Leur plafond d’évolution : micro-drones quelques centaines de mètres et mini-drones plusieurs milliers de mètres.

 

Quelle réglementation applicable ?

Au niveau international, l’ensemble des règles applicables aux drones est placé sous l’égide de la Convention relative à l’Aviation Civile Internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944, laquelle impose à chaque État de mettre en place une réglementation pour les aéronefs sans pilote (article 8).

Au niveau européen, l’EASA est compétente pour les drones de plus de 150 kg. Elle souhaiterait cependant que lui revienne la compétence sur l’ensemble des catégories de drones. Pour ce faire, elle a établi un document de 33 propositions avec des règles communes pour les drones en Europe.

Au niveau national, des éléments réglementaires figurent dans le Code des Transports, dans le Code de l’Aviation Civile ; deux textes, datés du 17 décembre 2015, définissent en complément la réglementation pour l’usage des drones à savoir :
→ L’arrêté relatif à la conception, aux conditions d’utilisation des drones et aux qualifications des télépilotes,
→ L’arrêté relatif aux conditions d’insertions des drones dans l’espace aérien.

Ces arrêtés considèrent deux principales utilisations : le vol de loisir et les vols dits d’activité particulière. Les vols d’activité loisirs limitent l’utilisation du drone à 150 m d’altitude et interdisent le survol de l’espace public. Les vols d’activité particulière regroupent 4 scenarii (S1, S2, S3, S4) qui, dans tous les cas qu’il s’agisse de vols “en vue” ou de vols “hors vue”, limitent l’altitude à 150 m.

Les récents évènements de survols de centrale nucléaire, de bâtiments sensibles, les événements de quasi-collision avec un avion montrent que la réglementation existante est insuffisante. Aussi, en reprenant des préconisations du rapport du SGDSN, le Sénat vient d’adopter en première lecture une législation renforcée pour les drones, qui suppose les postulats suivants :
→ L’obligation d’enregistrement/d’immatriculation des drones (art 1), ainsi que l’enregistrement des drones de 1 à 25 kg serait rendu obligatoire ;

→ Le seuil de 1 kg correspondant à la capacité d’emport d’un drone équipé d’une grenade légère, est retenu par L’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour distinguer les drones jouets des autres engins ;

Les États-Unis ont mis en place une procédure d’enregistrement en ligne des drones d’une masse supérieure à 250 grammes dès la fin de l’année 2015. Cette procédure, d’abord gratuite pendant 30 jours puis facturée 5 dollars, a très bien fonctionné. Le seuil de 250 grammes a été retenu à l’issue de calculs évaluant les conséquences de la chute d’un drone sur une personne physique. Il correspond également au poids minimal des drones capables de voler en extérieur.

→ La formation pour les télépilotes de drones au-delà d’un certain seuil de masse (art 2) devient obligatoire ;

→ L’installation d’un transpondeur RFID ou GSM et d’équipement lumineux d’ici 2018 (art 4), ou encore la possibilité d’un bridage automatique des performances deviennent impératives.

Ainsi en complément du transpondeur, l’article 4 prévoit la possibilité de brider les drones, en fonction de leur zone de circulation. Cela permettrait de faire respecter la limitation de hauteur des drones à 150 m et d’éviter d’en croiser à  5000 ft en vent arrière comme à Roissy !
Certains fabricants commencent ainsi à mettre en oeuvre des « No Fly zones » dans leurs logiciels de pilotage. Ainsi DJI, l’un des plus gros fabricants, a commencé à intégrer à ses drones la carte des aéroports, en distingant deux catégories d’aéroports. Autour des grands aéroports de catégorie A (en France, Charles de Gaulle, Marseille-Provence et Nice-Côte d’Azur), le vol est bloqué dans un rayon de 2,4 km et restreint en hauteur dans un rayon de 8 km. Dans les aéroports plus petits de catégorie B, la zone d’interdiction totale est de 1 km. Depuis quelques temps, le système intègre aussi des zones spécifiques comme une large région autour de Washington, interdite de survol en raison de la présence de la Maison Blanche.

→ Le dernier article prévoit de réprimer l’usage illicite ou malveillant de drones (art. 5).

Toutes ces solutions techniques devront être également mise en oeuvre chez les “makers” (c’est à dire ceux qui fabriquent eux-mêmes leurs drones).

Ce projet de loi améliore la sécurité et prend en compte de nombreuses demandes faites par L’ECA et le SNPL. Il doit cependant encore franchir les obstacles de la navette parlementaire avec l’assemblée avant d’être adopté.

Quelles perspectives industrielles pour les drônes ?

Inexistant en 2010, le marché du drone civil est en pleine expansion.
La flotte mondiale de drones civils est évaluée à environ un million d’unités à la fin 2015, dont 300 000 vendus durant cette seule année. On estime le nombre de drones de loisir en France à entre 150 000 à 200 000 et à 3300 pour drones professionnels. Rien que pour le marché français, le chiffre d’affaires en 2014 est estimé à plus de 50 millions d’euros, hors drones de loisir et plus de 85 millions d’euros en 2015.
La filière représenterait près de 5000 emplois actuellement et, à l’horizon 2020, environ 20 000 emplois pour un chiffre d’affaires évalué à 700 millions d’euros.

De nombreuses utilisations professionnelles de drones civils se sont développées dans différents domaines : les prises de vue pour les médias, le cinéma et la publicité représentent environ 60 % de l’activité. Le coût à l’heure de vol explique largement ce succès : le prix de location d’un drone est en effet bien inférieur à celui d’un hélicoptère, puisque le coût d’une heure de vol d’un hélicoptère monoturbine est approximativement de 1 500 euros contre environ 700 euros pour un drone professionnel.

Mais les drones réalisent également des inspections techniques de bâtiments et d’ouvrages d’art, font de la volumétrie et du suivi de chantier, des détections de stress hydrique et de manque d’engrais pour l’agriculture de précision (thermographie par drones), de la surveillance aérienne et des missions de sécurité civile, etc.
A titre d’exemple, lors du dernier Salon du Bourget un Airbus A350 a subi une collision aviaire lors d’une présentation en vol. La dérive a pu être inspectée grâce à l’utilisation d’un drone spécial d’Airbus. De même, la SNCF utilise des drones depuis 2012 pour contrôler l’état de ses installations et à des fins de surveillance. Propriétaire de dix drones opérés par une équipe de quinze personnes, elle a investi près de 10 millions d’euros dans ce secteur.

 

 

 

 

De nombreuses sociétés dont Google et Amazon ont en outre des projets très avancés sur les drones de livraison. Ces projets présentent pour l’instant une difficulté majeure : en effet, comment faire évoluer ces engins dans les zones habitées pour apporter un colis sans pour autant mettre en danger les personnes, notamment dans des zones peuplées ? À une hauteur de quelques dizaines de mètres, la chute d’un drone peut s’avérer mortelle.
Ainsi en août 2015, l’une de ses six hélices d’un drone s’est brisée en vol suite à un incident technique ; celui-ci est venu s’écraser en plein centre de Buenos Aires, blessant grièvement deux passantes.

 

Quels risques et quelles menaces ?

Les risques d’accidents potentiels impliquant un drone peuvent multiples : un défaut de maîtrise, des agissements malveillants ou une méconnaissance de la réglementation en vigueur.
Les drones volant à très basse altitude sans moyen d’identification ni dispositif d’évitement présentent un risque de collision avec les hélicoptères (Sécurité Civile, Gendarmerie, SMUH, etc.), les avions militaires en basse altitude, sans compter l’aviation générale et les avions de ligne en phase de décollage ou d’atterrissage voire en approche. Les exemples se sont d’ailleurs multipliés ces dernières années…

→ En janvier 2015, l’espace aérien de l’aéroport international de Dubaï a été fermé pendant 50 minutes en raison du survol des installations par un drone non identifié.
→ Le 20 avril 2015, un drone a été repéré dans les trajectoires de départ de l’aéroport de Manchester, ce qui a entraîné une interruption du trafic et le déroutement de certains vols vers Liverpool pendant une vingtaine de minutes.
→ En février 2016, un A320 est en vent arrière 26L vers Meaux en descente vers 5000 ft.
Le pilote aperçoit à 200 m un drone, coupe le PA pour l’éviter et diminue le taux de descente. L’autre pilote l’aperçoit à 10 h (travers gauche) à 5 m et environ 5 m plus bas. Le drone passe très près du moteur gauche.

Outre les pertes de contrôle, les menaces d’actes malveillants sont également nombreuses. Les drones civils peuvent en effet être facilement détournés de leur usage pour servir d’arme par impact direct ou pour transporter des charges létales explosives, radiologiques, bactériologiques ou chimiques.
Ainsi, au Japon, en avril 2015, un drone transportant du sable radioactif, en quantité insuffisante pour présenter un danger, s’est posé sur le toit de la résidence officielle du Premier ministre japonais Shinzo ABE à Tokyo.
Un drone malveillant peut pénétrer dans la zone de sûreté à accès réglementé d’un aéroports (ZSAR). Il peut porter atteinte à l’intégrité d’aéronefs au sol ou en vol en étant chargé d’un engin explosif improvisé. Il peut également perturber le trafic aérien en volant en essaim délibérément dirigé vers les pistes d’un aéroport.

Et il convient d’être d’autant plus attentif aux espaces dans lesquels ces machines sont susceptibles d’évoluer qu’il n’existe aucune étude sérieuse évaluant les conséquences d’un impact entre un drone et un avion de ligne.

La croissance du marché des drones civils est rapide, supérieure à celle de l’Aviation Civile. Pourtant de nombreuses questions impactant directement la sécurité des vols des avions de ligne restent en suspens : étude d’impact des drones en certification, obligation de mise en oeuvre de système Midcas automatique (mid air collision avoidance system), formation des télépilotes de drones. Les États réagissent cependant peu à peu dès lors qu’il sont sensibilisés : aux Pays-Bas, les compagnies KLM, Martinair, le gestionnaire de l’aéroport d’Amsterdam, le syndicat des contrôleurs aériens, le syndicat de pilotes VNV se sont regroupés pour alerter les pouvoirs publics sur l’urgence de la situation en proposant sept règles à mettre en oeuvre rapidement.
En tant qu’acteurs de première ligne, les pilotes ne doivent pas baisser la garde car, si la réglementation se met progressivement en place pour limiter les risques de collision entre nos appareils et les drones, désormais les enjeux sont aussi ailleurs…
La législation actuelle se borne à fixer les conditions d’utilisation de l’espace aérien par les drones en limitant leur hauteur mais tôt ou tard, et sans doute plus rapidement qu’on ne le pense, il conviendra de se pencher sur la question du partage de l’espace. Les drones devenant progressivement incontournables (surveillance, livraisons, etc.), encadrer les conditions de leur insertion dans le trafic existant deviendra primordial pour assurer une cohabitation maîtrisée dans un même espace aérien.
Il en va de la sécurité de nos vols, de celle de nos passagers, de nos appareils comme de celle des personnes survolées.
De ce point de vue, tout reste encore à construire…

Article publié dans La Ligne n°615 de juin 2016