Taxation à outrance et immobilisme de l’Etat :

Grands maux du pavillon aérien français

En 2013, Air France a payé plus d’1,5 Milliards d’€ de taxes et environ 610 millions de redevances aériennes. Dans le même temps, la facture des taxes de la compagnie Emirates s’est avérée quasiment nulle tandis que le montant de ses redevances dans le monde entier s’élevait à 134 millions selon Louis Jobard, représentant des pilotes actionnaires au CA du Groupe AF KLM. Triste constat que cette distorsion de concurrence manifeste. En septembre dernier, la Cour des Comptes, dans un rapport de 140 pages, pointe clairement les raisons de cet écart de compétitivité du pavillon aérien français vis à vis d’une concurrence toujours plus exacerbée. Concurrence déloyale, taxations existantes et futures, rôle de l’Etat français… la rédaction de la Ligne fait le point sur la situation dans ce dossier spécial.

 

Taxes sur l’aérien : un État très inventif

S’il est un domaine dans lequel l’État demeure des plus inventifs c’est bien celui de la taxation. Certes, toutes ne sont pas de la seule initiative nationale mais force est néanmoins de constater que leur multiplication ne peut que nuire à la bonne santé des compagnies aériennes. Voici pour rappel un petit tour d’horizon de la facture dont les transporteurs doivent s’acquitter chaque année.

●    La Taxe de l’Aviation Civile (TAC)

La plus importante taxe demeure celle de l’aviation civile dite TAC.
Elle perçue par l’État pour financer les activités du Budget Annexe Contrôle et Exploitation Aérien (BACEA) non couvertes par les redevances et plus particulièrement le fonctionnement de la DGAC. Elle représente globalement un montant annuel de 451 millions d’euros.
Cette taxe est due par toute entreprise de transport aérien public, quel que soit son statut juridique ou sa nationalité, dès lors qu’elle embarque un passager, du fret et/ou du courrier sur le territoire français. Les tarifs de cette TAC sont revalorisés chaque année.Et c’est sur ce point que le premier écueil apparaît… Depuis de nombreuses années en effet, seule une partie des recettes de la TAC est reversée au budget de la DGAC (environ 86 %) ; une part non négligeable tombe dans les caisses du budget général de l’État (environ 14 %). En d’autres termes les passagers des compagnies françaises, compagnies les plus impactées par cette taxe, financent indirectement le budget général de l’État.

Le rapport Le Roux de novembre 2014 attirait déjà l’attention des pouvoirs publics sur le problème. Deux ans après, rares sont les mesures de restauration de la compétitivité préconisées par le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale qui sont entrées en vigueur : en 2015, l’exonération de 50 % du paiement de la TAC pour les passagers en correspondance est mise en place, elle passe à 100 % en 2016. Le reversement de l’intégralité de la TAC au budget de la DGAC (BACEA) est également acté. Ces deux mesures ont entraîné un surplus de recettes de 26 M€. En 2015, il est prévu dans les exposés des motifs de la Loi de Finances, le principe selon lequel ce surplus devait bénéficier aux compagnies aériennes, chose qui devait être mise en oeuvre par voie réglementaire. Hélas, le Ministère de tutelle du transport aérien, sans doute trop accaparé par ses actions sur les transports ferroviaire et routier, a omis de rédiger le décret qui aurait permis une telle restitution…

La DGAC aurait souhaité de son côté utiliser cette manne pour réduire la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) à ORY et CDG.

●    La Taxe d’aéroport (TA)

Souvent réduite à la seule appellation de “taxe sûreté”, elle est due par toute entreprise de transport aérien public, quel que soit sa nationalité ou son statut juridique, à raison des passagers et de la masse de fret et de courrier embarqués sur les aérodromes dont la liste est définie par arrêté ministériel. Elle est perçue au profit des exploitants d’aérodrome (au-delà d’une certaine taille critique) au titre du financement des services de sécurité, d’incendie et de sauvetage, de la lutte contre le péril aviaire, de la sûreté et des mesures effectuées dans le cadre des contrôles environnementaux. Elle contribue également au financement des matériels de contrôle biométrique installés dans les aéroports (ce dernier montant est fixé annuellement par arrêté ministériel).

Cette taxe est reversée aux aéroports et ne doit pas être confondue avec la redevance aéroportuaire qui est directement perçue par l’aéroport pour l’utilisation et le fonctionnement de ses aérogares.
A titre d’exemple, pour les aéroports de CDG et ORLY, la TA est de 12,75 € pour les passagers locaux et de 8,15 € pour les passagers en connexion en 2016 tandis qu’à l’aéroport de Francfort, elle est de 9,48 € pour les locaux et les connexions soit un écart de 34 %. Dans le cas de l’aéroport d’Amsterdam, elle est de 10,53 €  pour les locaux et de 5,9 € pour les pax en connexion. Les aéroports de Milan, Rome, Madrid, Barcelone sont dans des niveaux inférieurs à 5 €.
Il est clair que sur des hubs concurrents, le niveau de taxe de sûreté est beaucoup plus faible. Pourtant ces aéroports ne sont pas moins sûrs que les aéroports parisiens…

●    La Taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA)

En vigueur depuis 2005, la TNSA est due par les compagnies aériennes pour chaque décollage d’avion de plus de 2 tonnes. Cette taxe est répartie à l’échelle nationale afin de prendre en compte les besoins de financement de chaque zone aéroportuaire. Elle est calculée en fonction du niveau sonore de chaque appareil et des heures de passages de ces avions. Le calcul de son montant se fait pour chaque aérodrome mais, dans les faits, la TNSA ne concerne que 11 plates-formes métropolitaines. Ses recettes visent à financer des aides aux riverains des aéroports concernés et à inciter les compagnies à moderniser leur flotte. A noter que la loi ALUR (2014) ayant assoupli les règles de constructions en zone de nuisances sonores, le nombre de locaux éligibles aux aides a augmenté… et la recette de la taxe avec.

Dans le même temps, sous prétexte de mieux piloter cette ressource, la loi de finance de 2012 a introduit un plafonnement de la TNSA aux alentours de 47 M€. Cela a conduit en 2016 à un trop perçu de 1,6 M€ qui est allé directement au budget général de l’État.

●    La Taxe de solidarité (TS)

Aussi baptisée “taxe Chirac” elle est aujourd’hui la plus médiatisée et la plus décriée, celle-ci étant – contrairement à l’idée de départ – acquittée seulement par une petite poignée de transporteurs dans le monde. Elle est perçue au profit du Fonds de Solidarité pour le Développement et gérée par UNITAID, en vue de contribuer au financement des pays en voie de développement, notamment dans le domaine de la santé. Créée en 2005, elle est due par les passagers en fonction de la destination et de la classe de voyage. Mise en oeuvre dans seulement 9 pays (Cameroun, Chili, République du Congo, France, Madagascar, Mali, Maurice, Niger et République de Corée), seule la France a choisi de l’appliquer parmi les Etats européens. Notre pays peut d’ailleurs se vanter de contribuer à lui seul à plus de 70 % du montant perçu par UNITAID. Ainsi, la TS a rapporté 219 millions d’euros en 2015 (source : Projet de Loi de Finance 2016). Paradoxalement, les réserves financières d’UNITAID qui représentent environ 630 M€, permettraient de poursuivre des actions humanitaires pendant 5 ans sans collecte supplémentaires…

La taxe a subi une augmentation  de 12,7 % en 2014. Les compagnies aériennes sont décidément bien généreuses en France…
Depuis 2014, l’Etat a plafonné la participation annuelle des transporteurs au Fond de Solidarité pour le Développement (FSD) à 210 millions d’euros, reversant l’excédent perçu (10 millions €)  au budget général. Ainsi, les passagers (principalement ceux des compagnies françaises) alimentent une fois encore le budget de l’Etat français sans même le savoir…
En dix ans, cette taxe aurait rapporté 1,7 milliards d’euros environ.
Hélas, aucun autre mode de transport ne se voit contraint d’acquitter cette taxe Chirac. Alors que le rapport Le Roux préconisait l’élargissement de son assiette à d’autres secteurs d’activités, cette proposition est restée lettre morte.

●    La TVA

On ne pense généralement pas à cette taxe lorsque l’on parle spécifiquement de l’aérien. Et pourtant, il convient de rappeler que le transport aérien y est aussi soumis sur les vols domestiques, les vols internationaux en étant exonérés. Ainsi, d’un taux réduit initial de 5,5 %, la TVA sur les transports est passée à 7 % en 2012 puis à 10 % en 2014, ceci afin de financer le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Une partie de cette augmentation repose sur les compagnies aériennes ; ainsi, le montant de la TVA acquittée à titre d’exemple par Air France en 2014 s’élève à 66 millions d’euros.

La TVA s’applique également sur la plupart des taxes citées plus haut.

Autre écueil : de nombreuses compagnies étrangères effectuant des vols domestiques en France échapperaient à la TVA française. C’est semble-t-il le cas notamment des compagnies britanniques effectuant des vols intérieurs mais possédant un site de réservation en Grande Bretagne ou en Irlande. A contrario, que les vols intérieurs effectués sur le marché domestique britannique ne sont soumis à aucune TVA.

Plusieurs parlementaires français se sont alarmés de cette possible différence de traitement. leurs questions au Gouvernement sont restées sans réponse à ce jour…

 

Exemple de taxation d’un billet sur un vol Paris-Nice le 18 novembre 2016 au prix de 161,75€ Le total des taxes représente 27 % du prix de vente.

Comparatif de taxe sur un billet type Exemple d’un départ le 18 novembre 2016 à Paris CDG / arrivée à Atlanta ● Avec AF, le montant des taxes françaises est de 53,09 €. ● Avec KLM, le montant des taxes néerlandaises et de 20,53€. Soit des taxes 2,5 fois plus élevées en France.

 

Compétitivité du transport aérien : un État quasi absent

Dans son récent rapport “l’Etat et la Compétitivité du transport Aérien”, la Cour des comptes dresse un constat sans appel de la situation du pavillon français et passe en revue les différents leviers qu’il estime utilisables par l’Etat pour améliorer sa compétitivité. Ne se limitant pas au seul diagnostic de l’état des compagnies aériennes françaises, elle a étudié en détail les conditions propices au développement du secteur. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a fort à faire…

Un maillage aéroportuaire peu efficace

Après analyse du maillage aéroportuaire et de son interaction avec les autres moyens de transport, elle constate un manque de pertinence entre le nombre d’aéroports et le nombre de passagers transportés. Ainsi, comparée à l’Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple, la France compte près de deux fois plus d’aéroports pour 25 % de passagers en moins, ceux-ci étant principalement concentrés sur la capitale. En conséquence, elle recommande d’améliorer la connectivité avec les autres moyens de transport, notamment le rail. Sachant qu’à l’heure actuelle la voiture reste le principal moyen d’accès aux aéroports et que les connexions entre aéroports et centres villes s’avèrent peu développées, un projet tel que CDG Express relève donc d’un enjeu d’importance. Certes, le TGV et l’avion sont concurrents au-delà d’un trajet de plus de 500 km (ou 3h30) mais il est néanmoins possible de les interconnecter pour créer une offre de service nouveau.

Pour la Cour des Comptes, le développement de l’intermodalité impose à l’Etat d’avoir une stratégie globale afin de créer des synergies sources d’économies et de compétitivité.

La nécessité d’une concurrence équilibrée et loyale

Cette stratégie doit pouvoir inclure la gestion de l’espace aérien dans la mesure où il s’agit «d’une infrastructure immatérielle sur laquelle l’Etat dispose d’une souveraineté complète et exclusive ». L’Etat a d’autant plus vocation à agir que le traitement des droits de trafic n’est pas concerné par les principes fondamentaux de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il manque toujours un cadre plurilatéral permettant de garantir une concurrence équilibrée et loyale à l’heure où les accords se négocient directement entre Etats. De même, l’Union Européenne ne dispose pas d’outil performant pour lutter contre une concurrence déloyale. Le seul règlement existant, publié en 2004, est peu utilisé du fait de son champs d’action (subventions et tarifs) et de sanction (taxes). Cette situation est d’autant plus navrante que, depuis juin 2016, la Commission européenne a obtenu un mandat pour négocier des accords globaux sur le transport aérien avec l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique), le Qatar, les Emirats Arabes Unis et la Turquie.
A noter qu’un projet d’accord intracommunautaire sur le commerce des services (ACS) est en cours de négociation. Il pourrait constituer un premier pas dans la mise en place d’une infrastructure permettant de régler les conflits commerciaux sur le transport aérien. L’objectif suivant serait d’étendre le principe à l’OMC. La France doit pouvoir l’encourager.

Une absence de l’État régulateur

La Cour des comptes insiste sur le rôle de régulateur de l’Etat qui doit agir en tant que principal levier pour la compétitivité. Elle identifie tout particulièrement quatre secteurs dans lesquels il pourrait être facilitateur et coordinateur : le ciel unique européen, l’équilibre entre les intérêts des aéroports et ceux des compagnies, les dépenses de sûreté et le système d’attribution des créneaux.

L’accélération du Ciel unique européen

La Commission européenne évalue à plusieurs milliards les économies induites par la mise en place d’un ciel unique. Lancé en 2013 avec une mise en œuvre à l’horizon à 2030, il peine à se concrétiser d’où un manque à gagner pour l’ensemble du secteur. Car, à titre de comparaison, pour une surface territoriale équivalente, les Etats-Unis traitent deux fois plus de vols IFR avec 23 % de contrôleurs en moins. L’IATA évalue d’ailleurs le coût moyen par vol contrôlé à 866 € en Europe contre 645€ aux Etats Unis !
Certains pays, dont la France, accusent un vrai retard sur les objectifs fixés par l’UE. Sur la période de 2015-2019, une baisse des coûts unitaires de -3,3 % par an était prévue pour le contrôle aérien. La France n’affiche aujourd’hui que -1,1 % par an. La Cour estime donc que l’Etat doit réaliser les efforts de productivité nécessaires à la mise en œuvre du « Ciel unique européen », en rationalisant les dépenses de personnel et d’exploitation du Budget Annexe de l’Aviation Civile et en hiérarchisant les investissements (recommandation 1). Précisons toutefois que les redevances françaises en route sont parmi les plus basses des pays à fort trafic.

Le choix crucial de la méthode de calcul de la redevance aéroportuaire

Compte tenu de la position de monopole de certaines plates-formes, les redevances aéroportuaires sont fixées par une Autorité de Supervision Indépendante (ASI). Leur calcul s’effectue en fonction de plusieurs paramètres dont le Coût Moyen Pondéré du Capital (CMPC) qui définit la rentabilité des capitaux investis. Dans le Contrat de Régulation Économique de 2016-2020, le CPMC d’ADP est de 5,4 % (Heathrow est à 5,35% et Amsterdam à 2,87%).
Pour garantir sa rentabilité, l’aéroport fait payé une redevance aux compagnies aériennes.
Or, l’OACI recommande de prendre en compte les rentrées commerciales permises par les ventes aux passagers (duty-free, services, etc.) pour réduire le montant de la redevance. C’est le principe de la « caisse unique » : toutes les rentrées d’argent sont fongibles en une seule. C’est le cas pour les aéroports anglais. A contrario, il existe également un principe de « caisse double» dans lequel, les activités commerciales ne sont pas prises en comptes, et la redevance aéroportuaire doit seule assumer la rentabilité de l’aéroport. C’est le principe choisi par les aéroports allemands motivés par le fait que « l’opportunité que les prix de l’utilisation des infrastructures portuaires reflètent la rareté de celles-ci dans un contexte de saturation croissante du secteur ». ADP a opté pour une « caisse aménagée » supposant qu’une partie seulement des bénéfices commerciaux soit prise en compte (environ 90 M€).
Etant donné, le caractère très conflictuel des modalités de calcul des redevances, la Cour des Comptes insiste sur la nécessité d’indépendance de l’ASI. A la suite d’une plainte d’un syndicat de compagnies aériennes, la DGAC a été destituée de cette fonction de supervision. La composition de la nouvelle ASI a été officialisée en juillet 2016.

Le juste prix des dépenses de sûreté

Initialement, les équipements de sûreté ont été financés par l’Etat. Aujourd’hui, les coûts sont essentiellement dus aux frais de personnel (72 %), à la mise aux nouvelles normes et à la création de nouveaux terminaux. Les montants sont entièrement financés par la taxe d’aéroport (différente de la redevance aéroportuaire) et payée par les passagers. A titre de comparaison, aux États-Unis, les passagers paient 1/3 des coûts, le reste étant acquitté par le Gouvernement fédéral. En France, cette taxe est perçue par l’Etat qui rembourse intégralement les dépenses à chaque aéroport. Etant donné le caractère global de la problématique sûreté, les gros aéroports financent les plus petits qui ne peuvent pas assumer seuls la charge de ces mesures. Pour rappel une taxe de péréquation pour les petits aéroports vient s’ajouter à la taxe “standard” pour un montant d’environ 1,25 €/pax. La Cour des Comptes considère que ce mécanisme de péréquation en faveur des petits aéroports – trop nombreux – est déresponsabilisant pour ces derniers et n‘incite pas à la maîtrise des coûts. La Cour des comptes relève d’ailleurs que le mode de financement n’incite pas à l’économie puisque les aéroports sont intégralement remboursés pour leurs dépenses. Au Royaume-Uni, les dépenses de sûreté sont prises en compte dans le contrat de régulation économique, ce qui pousse les aéroports a une meilleure optimisation des dépenses. En France, la Cour des comptes estime que l’Etat doit contrôler l’efficience des dépenses de sûreté au-delà du simple contrôle de leur éligibilité au remboursement, en évaluant la pertinence des dépenses entrant dans ce cadre (recommandation 2).

Une révision des principes d’attribution des créneaux

Bien que les économistes spécialistes du transport aérien n’aient pas établi de théorie optimale d’allocation des créneaux, certaines études (aux USA) montrent que bien souvent « dans les aéroports coordonnés, la capacité disponible est utilisée moins efficacement que dans des aéroports de même taille non coordonnés ».
Aujourd’hui, en Europe, les nouveaux créneaux sur une plate-forme donnée sont attribués pour moitié aux nouveaux opérateurs entrants  et pour moitié aux compagnies déjà présentes. Pour les créneaux déjà existants, le principe du «droit du grand-père» permet à une compagnie de garder les siens à partir du moment où elle les a utilisés au moins à 80 %. Les échanges sont possibles mais sans contrepartie financière (en UE).
La Cour des Comptes encourage les autorités compétentes à repenser le système d’attribution des créneaux en le monétarisant. Elle suggère par exemple un système d’enchère pour les nouveaux créneaux et la création d’un marché secondaire pour les existants ceci afin d’inciter à une meilleure utilisation des slots. Le risque associé étant qu’un opérateur dominant puisse faire la pluie et le beau temps. La Cour des comptes rappelle également qu’Orly n’est utilisé qu’à 60 % de ses capacités en vertu d’un arrêté de 1994 sur les nuisances sonores. Les améliorations technologiques des nouveaux avions dans ce domaine devraient inciter à une remise en question de cet arrêté. Pour elle, l’Etat doit réviser le dispositif de coordination et d’allocation des créneaux horaires aériens (recommandation 3).

Une meilleure régulation fiscale

La Cour des comptes s’est plus précisément penchée sur les différents dispositifs fiscaux et sociaux existants. Constatant le surplus de la TAC estimé à environ 26 M€ en 2016, elle recommande de l’affecter au désendettement du Budget de l’Aviation Civile (BACEA) (recommandation 4)
La pertinence de la très controversée Taxe de solidarité (TS) dite « taxe Chirac » est clairement remise en question par la Cour des comptes laquelle estime qu’elle a été détournée de son but initial mais aussi qu’elle nuit grandement à la compétitivité des compagnies françaises. Elle rappelle la préconisation du rapport Le Roux d’élargir l’assiette de cette taxe au motif qu’elle n’est pas en lien avec l’aviation en particulier. Elle recommande, a minima, d’ajuster le montant de la taxe de solidarité à la quotité nécessaire au financement du Fonds de Solidarité pour le Développement (recommandation 5).

Un impact a priori très relatif du CICE

La Cour des comptes note que le Crédit d’Impôts pour la Compétitivité et l’Emploi aurait eu un impact faible économiquement parlant, notamment du fait d’une assiette salariale peu adaptée au transport aérien ; le CICE ne concerne en effet que les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC, peu courant dans le secteur.
Certes, le CICE a tout de même bénéficié aux compagnies aériennes mais dans des proportions difficiles à évaluer actuellement. La Cour des Comptes recommande néanmoins d’inscrire au programme du comité de suivi du CICE l’évaluation de l’impact de ce dispositif sur la compétitivité des entreprises de transport aérien (recommandation 6).

Une baisse des charges difficilement envisageable

La Cour des Compte a analysé la proposition faite par certaines compagnies aériennes de réduire les charges sociales pour ce secteur ; elle estime difficilement envisageable  ce principe. A cela, plusieurs raisons. Elle créerait un problème de financement des prestations sociales toujours garanties pour les employés. Elle créerait également un précédent avec un « risque de contagion », par exemple au secteur de l’automobile lui aussi soumis à une forte concurrence internationale. Enfin, du point de vue des règles européennes, cela pourrait être assimilé à une aide d’État à partir du moment où il s’agit d’une exception aux règles françaises. La Cour des comptes reconnaît néanmoins qu’un effort doit être fait sur le coût du travail pour permettre la restauration de la compétitivité.

Lutter contre le dumping social

La création du principe de « base d’affectation » contribue à limiter le dumping social : les charges sociales sont celles du lieu d’affectation, et non celles du pays d’où dépend le contrat de travail. Il faut renforcer cette notion et intensifier le contrôle de sa bonne application.
La Cour des comptes recommande d’organiser un contrôle des conditions d’emploi des personnels navigants des compagnies aériennes afin de prévenir et sanctionner les pratiques déloyales (recommandation 7).

La délicate question des droits du passager

Les règles de protection des passagers sont, à l’échelle mondiale, très hétéroclites. Le droit européen étant particulièrement favorable au client, il crée une distorsion de concurrence au désavantage des compagnies européennes.
La Cour des comptes recommande de promouvoir, au plan international, l’adoption d’un «code de conduite » dans le domaine des droits des passagers, afin d’homogénéiser les réglementations et réduire d’éventuels écarts de compétitivité (recommandation 8).
Ce travail doit être fait au niveau de l’OACI.

En finir avec le mille-feuille réglementaire

En 2014, un rapport parlementaire proposait 38 mesures de simplification réglementaire permettant de dégager 30 M€. Elles touchent de nombreux domaines tels que la sûreté, l’exploitation, la formation. 24 d’entre elles ont été retenue et sont en cours de mise en œuvre…

Au travers de ce rapport, la Cour des comptes pointe un manque de stratégie globale de l’Etat. Des décisions contradictoires alourdissent l’écart de compétitivité de l’aérien français. Sur le modèle de l’Allemagne qui a lancé cette année son projet national pour l’aérien (Luftverkehrskonzept), la France doit agir de manière coordonnée.
En décembre 2015, l’Union Européenne a décidé de « renforcer la compétitivité et la pérennité de l’ensemble du réseau de valeur du transport aérien de l’UE ». L’Etat français doit s’y inscrire pleinement.
Reste que « la Cour des Comptes rappelle, au terme de son enquête, que les compagnies aériennes disposent en propre des leviers essentiels tels la maîtrise des coûts de personnel, la modernisation de la flotte d’avions, ou l’innovation. Il leur appartient, en conséquence, d’agir sur ces leviers pour améliorer leur compétitivité. ».

Les compagnies ont en main leur destin, on ne peut le nier, mais elles ne peuvent agir seules sans que l’Etat ne prenne sa part d’effort dans la restauration de la compétitivité. Le SNPL a salué le rapport de la Cour de Comptes. Certes, le constat posé n’est pas nouveau pour lui dans la mesure où il rappelle régulièrement à l’État son manque de soutien au secteur. Ce que la Cour des Comptes apporte avec son rapport est une synthèse claire et sans appel des maux dont souffre le pavillon français ainsi qu’une incitation à réagir pour éviter sa disparition. Le SNPL France ALPA ne saurait cependant s’en contenter. c’est pourquoi, au lendemain de la publication dudit rapport, il a réitéré sa demande de convoquer des Etats généraux du Transport Aérien, associant l’ensemble des parties prenantes (Etat, Parlement, entreprises, organisations syndicales et patronales) et visant l’adoption d’une stratégie nationale de compétitivité́ pour le transport aérien.
Gageons qu’il soit rapidement entendu car il est grand temps de sortir de l’immobilisme.

Pour en savoir plus :

Le rapport complet de la Cour des Comptes « L’Etat et la compétitivité du transport aérien, un rôle complexe, une stratégie à élaborer » est disponible au téléchargement sur son site : http://www.ccomptes.fr / rubrique « publications »

Article publié dans La Ligne n°619 de novembre 2016