Suivi opérationnel des Personnels Navigants en Radioprotection : état des lieux
La vie terrestre s’est développée en présence des radiations ionisantes. En traversant les tissus biologiques, elles peuvent avoir un effet négatif immédiat ou retardé. Cependant au niveau du sol les radiations ionisantes font parties naturellement de notre environnement.
Quelque soit l’origine des particules qui atteignent notre atmosphère (solaire ou cosmique), leurs interactions va créer une « cascade » de radiations secondaires (ondes, particules) plus ou moins ionisantes, que les avions vont traverser.
L’unité qui caractérise une dose de radiations (liée aux rayonnements ionisants) absorbée par les tissus biologiques est le Sievert Sv (grandeur très forte).
La réglementation défini des limites d’exposition (annuelle) générant le classement des travailleurs exposés en 2 catégories : catégorie A de 6mSv à 20mSv, catégorie B de 1mSv à 6mSv. Les PN ont été classés dans la catégorie B, le 1er octobre 2013.
Ce classement est fondamental en raison des obligations réglementaires associées : suivi médical, suivi dosimétrique, nomination d’une PCR.
En moyenne, au niveau du sol le débit de dose est proche de 0,1μSv/h mais au FL330, il est d’environ 50 fois plus élevé soit 5μSv/h. En effet, le débit de dose est fonction principalement de l’altitude et de la latitude pour diverses raisons (densité de l’atmosphère de plus en plus faible pour l’altitude, et convergence des lignes de champ magnétique aux Pôles nord et sud au fur et à mesure des latitudes croissantes).
6 secteurs d’activités nucléaires sont identifiés par les autorités : médical, nucléaire, industrie, recherche, autres, et radioactivité naturelle (aviation). En France, la dose collective des 18.000 PN de l’aviation civile est de 36 hSv (homme Sievert) à comparer aux 56 hSv des 300.000 travailleurs exposés aux rayonnements externes (hors radioactivité naturelle) suivie par l’IRSN (3). Ainsi, pour le PN (en France), la moyenne individuelle est de 1,8 mSv/an et 5 % des PN sont entre 3 mSv et 4 mSv. C’est largement supérieure au 1,5mSv de l’industrie ou aux 1,2 mSv des intervenants du Nucléaire (EDF, AREVA etc.). Et encore il est probable qu’en raison des avions très performants de l’aviation d’affaire (vol à une altitude > FL400) cette moyenne de 1,8mSv soit allégrement dépassée !
Ce paradoxe s’explique par le fait que les moyens de protection, l’organisation du travail, la formation, la réglementation, ont progressé significativement ces dernières années.
Pour l’aérien, pas de diminution de la dosimétrie en raison des moyens de protection inexistants, des altitudes de croisière de plus en plus élevées, une densité significative des heures de vol et une mauvaise information des personnels.
Pourtant en 1990, la CIPR 60 (Commission Internationale de Protection Radiobiologique) a estimé que les rayons cosmiques devaient être pris en compte dans le calcul de l’exposition professionnelle. Quelques années et étapes plus tard, a été mis en place en 2003 (4) le suivi dosimétrique par CALCUL des PN avec le logiciel SIEVERT, développé par l’IRSN (5) en coopération avec Air France, la DGAC et plusieurs institutions régaliennes.
Depuis, la réglementation a évolué au travers de l’arrêté du 17/07/2013 (2).La principale évolution de cet arrêté concerne l’attribution des doses individuelles, qui ne doit plus être gérée par les compagnies aériennes mais par un organisme de dosimétrie agréé, ou l’IRSN.
➢ Ainsi en 2014, SIEVERT devient SIEVERTPN et se « professionnalise » en s’adaptant au nouvel arrêté en vigueur. Cette nouvelle façon de gérer la dosimétrie sécurise complètement la dose réellement reçue par le PN, sans intervention possible de l’employeur…
En résumé, le fonctionnement de SIEVERTPN est assez simple :
* Les compagnies aériennes fournissent les plans de vol techniques des vols effectués avec la liste des PN concernés ;
* SIEVERTPN calcule les doses/vols, les croise avec les PN, puis crée un fichier dosimétrique/PN qui est transmis automatiquement au registre national de dosimétrie SISERI.
Quid des Eruptions solaires ?
Le soleil n’est pas un astre tranquille et ses sautes d’humeur sont imprévisibles. Heureusement pour nous, plusieurs remparts nous protègent de ses excès. Principalement la distance terre-soleil d’environ 150 millions de kms, la position de la Terre sur l’écliptique, mais aussi les lignes du champ magnétique terrestre qui piègent et empêchent jusqu’à un certain niveau d’énergie les flux de particules électrisées.
D’une façon très générale, en cas d’éruption solaire, il peut s’écouler une vingtaine d’heures (éruptions les plus violentes) à quelques jours, avant que la terre ne soit « arrosée ».
Ce phénomène peut durer de quelques heures à plusieurs jours. Logiquement, nous subissons une surexposition difficilement quantifiable durant ce « bombardement » sans une étude « après coup ».
En effet, tout dépend de l’état de l’ionosphère, de la magnétosphère et de la position de l’avion (géographique, côté jour ou nuit), etc.
Le complément de dose se fait à posteriori (environ 1 mois) par juxtaposition d’une carte élaborée par l’Observatoire de Paris (modèle semi-empirique SiGLE). SIEVERTPN intègre cette surexposition.
La base de données S.I.S.E.R.I :
Ce Système d’Information de la Surveillance de l’Exposition aux Rayonnements Ionisants, centralise, vérifie et conserve l’ensemble des données individuelles de l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants en France (IRSN).
SISERI met à disposition des PCR et de la médecine du travail, les données individuelles des PN tout en respectant les dispositions de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés).
SISERI est aussi utilisée à des fins statistiques d’études et de recherches, pour optimiser le plus raisonnablement possible la diminution de dose individuelle. Ce principe de base de toute radioprotection est appelé ALARA (As Low As Reasonable Achivable).
Garantir la sécurité, naviguer dans les méandres de la réglementation, contrôler les niveaux dosimétriques de chaque PN, accéder à SISERI, maintenir une coordination avec la médecine du travail, l’IRSN et l’Observatoire de Paris, être curieux, s’informer de tout ce qui peut se rapporter aux radiations ionisantes (conférences et publications), organiser les formations, contrôler régulièrement les niveaux d’ambiances radiatives aux postes de travail (à l’intérieur de l’avion pour le PN), surveiller les turpitudes du soleil…, tels sont les principales obligations et tâches dévolues à une personne clé dans le dispositif de la Radioprotection opérationnelle : la PCR.
Cette profession existe depuis 1967 et il a fallu attendre 2009 (tout du moins à Air France) pour officialiser la nomination d’une PCR; Auparavant, c’était la médecine du travail qui endossait cette fonction et obligation réglementaires.
Où en est-on ? Objectifs et Enjeux ?
Depuis quelques années, la Cometec SNPL suit cette problématique des rayonnements ionisants afin de protéger la santé actuel et futur des PN, mais aussi pour déterminer les risques potentiels des vols à très haute altitude (jets de l’aviation d’affaires).
Les logiciels de calcul de doses utilisent plusieurs modèles mathématiques qui sont parfaitement validés dans un état « standard » de la magnétosphère, mais en cas d’éruption solaire ou d’évènement cosmique soudain, il est très difficile d’évaluer dans un délais acceptable (3) la dose totale reçue. Qui plus est, le soleil suit un cycle d’environ 11 ans auquel est associé une activité éruptive très variable et peu prévisible.
Par conséquent, nous avons profité de la nomination d’une PCR à Air France pour établir un partenariat « durable » associant l’IRSN et l’Observatoire de Paris.
L’objectif principal de cette collaboration est de permettre une estimation rapide (< 5jours) de l’éventuel complément de dose reçue par les PN et les passagers (aspect santé et sécurité).
Si un PN se rapproche de la limite 6mSv, un changement de planning serait anticipé.
Enfin, les données enregistrées dans les dosimètres installés à bord des avions sont mises à disposition des chercheurs pour améliorer les modèles théoriques, notamment en cas de perturbation solaire ou cosmique inopinée.
L’idée a été d’installer (après plusieurs campagnes d’étalonnages) un nombre suffisant de dosimètres (30) et spectromètres (5) à bord de B777 et A380 pour couvrir pratiquement 24h/24h notre espace d’évolution.
En cas d’évènement, la PCR va récupérer et confier les détecteurs à l’IRSN afin d’obtenir rapidement un éventuel supplément de dose.
Une perturbation (GLE72) a eu lieu en janvier 2014 sans conséquence significative sur la dosimétrie en raison des écarts-types encore trop important sur nos dosimètres. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle nous devons continuer les vols d’étalonnage.
Enfin, le phénomène TGF (7) est un sujet sensible et récent dans la communauté scientifique, car il pourrait impacter la dosimétrie, particulièrement dans l’aviation d’affaire où des aéronefs très performants peuvent atteindre des altitudes de 15kms.
Les « challenge » de la radioprotection appliquée à l’aéronautique sont nombreux et nous n’en sommes qu’au début des connaissances dans ce domaine.
Le législateur avec la base de données SISERI autorise l’étude à long terme des maladies cancéreuses ou héréditaires des PN, après exposition aux rayonnements ionisants pendant leur activité professionnelle (effets stochastiques).
Cependant, une nouvelle organisation au sein de l’entreprise Air France, et une « adaptation » des effectifs va amoindrir les synergies établies entre les partenaires concernés par la radioprotection.
Pilotes, renseignez-vous auprès de vos employeurs sur les mesures prises pour vous tenir informer des phénomènes exposés, ou si une personne de votre entreprise porte la casquette de PCR, vous pourriez être surpris !
Calcul ou dosimètre individuel ? :
Le rayonnement secondaire est constitué de plusieurs types de rayonnements ionisants: ondes électromagnétiques, particules diverses et variées, le tout dans un spectre d’énergie très large. Il n’y a pas de dosimètre « unique » suffisamment sensible à cette « soupe » de radiations pour obtenir une valeur proche et perspicace de la dose réellement reçue !
La gestion individuelle d’un dosimètre est compliquée (passage aux PIF, oublie, charge batterie, lieu de conservation, relevé des valeurs etc.).En plus du coût significatif la gestion est quasiment impossible pour 18000 PN (cas Air France) .
La méthode par calcul est bien meilleure et adaptée dans l’aviation civile :
Les codes de calcul ont été développés et validés par des mesures en vol pour notre activité spécifique ;
Les calculs de doses prévisionnelles sont possibles ;
Transparence de gestion pour le PN ; Précision et même légère surestimation de la dose réellement absorbée.
Terrestrial Gamma-Ray Flashes, « TGF », une nouvelle menace ?
En 1994, le télescope spatiale FERMI (pour l’étude des objets célestes à forte émissions gamma), découvrit par hasard la production de flashs (1 à 2ms) de rayons gamma (ionisant) terrestres au-dessus des orages entre 15 et 20 kms selon les premières observations. Il est encore difficile de comprendre strictement ce phénomène, mais il a été observé que dans certains cas les éclairs jouent le rôle d’accélérateur de particules électrisées qui, en atteignant des vitesses proches de la lumière, vont être freinées par collisions aux molécules d’air. Ces collisions produisent alors une bouffée de rayons gamma très énergétiques appelée TGF ou « Terrestrial Gamma-Ray Flashes » (effet Bremsstrahlung).
Nous pourrions être impacté par ce phénomène qui pourrait aisément nous envoyer de travailleur Catégorie B à A …
D’ailleurs, le satellite Européen TARANIS sera lancé fin 2017 pour l’étude des phénomènes associés aux orages, dont essentiellement les TGF. Suivant les dernières observations, on estime à plus de 1000 TGF / jour et principalement proches de l’équateur.
Article publié dans La Ligne n°614 de mai 2016